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Métamorphoses droniques : innovations et expérimentations
Publié le 06/05/2025
Le développement d’une flotte dronisée participe activement au renforcement d’une Marine agile et puissante. Le capitaine de vaisseau (CV) Nicolas Geffard, à la tête du centre d’expertise du combat naval de la Force d’action navale, et le capitaine de vaisseau Iban Harismendy, commandant le centre d’expertise des programmes navals, éclairent Cols bleus sur le processus de dronisation de la Marine.

Quels enseignements tirer des affrontements hybrides en mer Rouge et en mer Noire ?
CV NICOLAS GEFFARD : Les tensions sur ces théâtres ont montré des compétiteurs extrêmement agiles. En Ukraine, lorsqu’une nouvelle menace était créée, l’adversaire avait trouvé la parade dans les six semaines qui suivaient.Ce cycle d’innovation très court permet de retrouver l’initiative et mettre l’adversaire en difficulté. Aujourd’hui, les cycles de la Marine sont élaborés en temps de paix offrant à l’innovation une grande qualité, une grande sûreté et une grande fiabilité mais un rythme moins soutenu.
En mer Rouge, la menace s’étend du petit drone légèrement armé, peu sophistiqué jusqu’au missile balistique. La Marine doit être prête à faire face à tout type de menace et donc avoir une capacité de réponse graduelle, mesurée mais efficace. Miser sur le haut du spectre est incontournable mais il faut être capable de neutraliser un petit drone autrement qu’avec un tir Aster.
CV IBAN HARISMENDY : Dans la logique du bouclier et de l’épée, face à l’émergence de la menace dronisée, il faut accélérer le développement de la lutte anti-drones notamment grâce à des armes à énergie dirigée ou des moyens cinétiques. Par ailleurs, les théâtres d’opération confirment le besoin impérieux d’être capable de faire travailler nos forces dans un environnement dénié : un environnement où les systèmes d’informations et de navigation satellitaires ne sont pas forcément disponibles. Les forces s’y entraînent et c’est un domaine dans lequel on conduit un certain nombre d’expérimentations.
Quelle est la stratégie de dronisation de la Marine aujourd’hui ?
CV N. G. : Devant le constat de notre retard sur les drones aériens, on a changé de méthode. Nous nous sommes dit : « Testons à foison ! Prenons tout ce qui existe sur étagère, embarquons-le sur nos bateaux, testons-le et observons ». Notre feuille de route se construit au fur et à mesure et on avance en expérimentant. Nous avons besoin de masse, donc le drone ne doit pas nous coûter cher à l’unité. De plus, il faut envisager de perdre le drone qui sera envoyé dans la zone sous déni face à la menace, afin de pousser l’adversaire dans ses retranchements et parce que cela épargnera des vies humaines.
CV I. H. : Le drone doit être perdable par essence. Développer des drones trop chers, trop technologiques est un non-sens. L’un des points essentiels dans la dronisation est donc de s’appuyer au maximum sur la dualité civilo-militaire pour réduire les coûts de développement. C’est un des axes qui doit nous permettre de gagner en agilité. Au-delà de ces principes, l’approche de la Marine avec le système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) a été disruptive. En repensant le domaine capacitaire de la guerre des mines, le challenge était important parce qu’il fallait renouveler une composante en la dronisant et la penser dans deux dimensions (en surface et sous l’eau). L’idée pour la Marine est de capitaliser sur les acquis et le retour d’expérience de SLAM-F et de miser sur les expérimentations comme le Dronathlon ou Dragoon Fury pour faire murir nos industriels et être capable de mieux spécifier le besoin et puis décliner.

Comment la Marine fixe-t-elle ses objectifs devant la profusion de drones disponibles sur le marché international ?
CV I. H. : Le foisonnement est bon, il faut laisser les idées germer, ne pas brider les gens d’emblée. Embarquer les industriels à bord pour des expérimentations, c’est une très bonne chose mais après, il faut écrire, tirer des conclusions pour faire les bons choix et orienter les feuilles de route capacitaires qui s’appuient sur ces retours d’expériences.
CV N. G. : Il y a deux écueils possibles : se disperser, que des personnes fassent deux fois la même chose et perdre nos industriels qui seraient trop sollicités. Il faut instaurer un vrai dialogue entre les forces, les centres experts et les industriels. C’est une approche de l’innovation débridée mais concertée pour monter en gamme.
Comment anticiper l’évolution technologique pour que les drones ne soient pas obsolètes trop rapidement ?
CV I. H. : Il faut penser les drones sur des cycles de vie courts, en développant trois piliers qui n’auront pas forcément la même durée de vie : en premier lieu, la plateforme conférant au drone son autonomie, sa puissance, son agilité, sa capacité d’emport. En second lieu, les charges utiles embarquées sur une plateforme qui devra être modulaire (caméra optronique, perche sonar, drone captif). Et enfin la partie intelligente allant de la génération des données, leur sécurisation, la connectivité permettant leur transport et l’exploitation (C4ISR).
Il doit en outre y avoir une interopérabilité native des drones avec la capacité de les fédérer autour d’un outil de commandement et de contrôle (C2) unifié, indépendant du drone lui-même. En factorisant ces éléments, on arrive aussi à réduire les coûts d’acquisition et avoir des cycles de vie agiles. Par ailleurs, une dronisation efficace requiert une approche système de drones – un drone de surface seul a peu d’intérêt. S’il met en oeuvre un drone aérien et peut communiquer avec un drone sous-marin, les avantages des trois milieux sont exploités et on multiplie les effets. Ils seront d’autant plus intéressants qu’ils seront utilisés en masse.
Contre-amiral Guillaume Pinget
Publié le 05/04/2025
Le commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et commandant de la zone maritime pacifique est également un acteur majeur de l’action de l’État en mer dans cette zone.

Amiral, quels sont les grands enjeux de la zone de l’océan Pacifique ?
CA G. P. : Le Pacifique est devenu le centre de gravité du monde et les grands défis y sont multiples. En Polynésie et en Océanie, les principales préoccupations des populations sont les risques liés aux changements climatiques. Le nord du Pacifique est plutôt dominé par les tensions entre la Chine et les États-Unis ce qui structure les relations des états de la zone. Les contentieux entre les États de l’Indopacifique en mer de Chine méridionale génèrent des tensions sur fond de crise économique et d’enjeux de puissance. La Russie est aussi un acteur important dans le Pacifique, car son influence s’étend jusque dans le nord de la zone.
Comment l’arrivée du groupe aéronaval (GAN) a-t-elle été préparée ?
CA G. P. : Pour mon état-major, l’arrivée de 3 000 marins constituait un magnifique défi du point de vue de leur intégration dans la zone maritime et sur le théâtre d’opération. Lors de la planification de la mission, nous avons réfléchi avec le Centre de planification et de conduite des opérations et l’état-major du GAN aux pays avec lesquels nous allions coopérer, quels seraient les principaux points d’efforts et effets à produire. La présence du GAN est l’aboutissement d’un travail entrepris depuis la mission Marianne d’un sous-marin nucléaire d'attaque en 2021, et poursuivi avec les déploiements des frégates Lorraine puis Bretagne en 2023 et 2024.
Quels liens entretenons-nous avec les nations riveraines du Pacifique ?
CA G. P. : Les 31 partenaires et pays avec lesquels je suis chargé des relations militaires ont tous des particularités ou des préoccupations différentes. L’enjeu est de réussir à développer nos partenariats avec chacun de ces pays en nous adaptant à leurs préoccupations tout en préservant nos intérêts. Nos principaux alliés et partenaires sont les États-Unis, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande. Nous avons également des partenaires asiatiques plus ou moins anciens comme la Corée du Sud, le Japon, la Malaisie et Singapour. Enfin, nous collaborons de plus en plus avec l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam ou encore les États insulaires du Pacifique. Nous recherchons des interactions avec chacun d’eux afin de renforcer notre coopération de défense dans toutes les composantes des armées et notre interopérabilité.
C’est la première fois que le GAN se déploie aussi loin aussi longtemps, pour quelles raisons ?
CA G. P. : Nous sommes la seule nation européenne riveraine du Pacifique avec trois territoires dans la zone, et jusqu’à sept si l’on regarde tout l'Indopacifique. D’un point de vue opérationnel, avant Clemenceau 25, nous coopérions déjà de façon satisfaisante avec les forces navales américaines, dans la zone euro-atlantique et centrale [Méditerranée et ouest de l’océan Indien, NDLR]. En revanche, nous n’avions pas encore atteint ce niveau d’interopérabilité avec les forces de l’Indopacifique (3e et 7e flottes). Ce déploiement permet de franchir un seuil sur ce théâtre d’opérations. L’objectif a été atteint et l’exercice Pacific Steller en est une parfaite illustration.
La présence du GAN envoie un message fort aux compétiteurs, lequel ?
CA G. P. : Celui de notre engagement dans la zone en tant que nation riveraine, notre volonté de coopérer avec eux au service d’un Indopacifique ouvert, libre et respectueux du droit international et de toutes les souverainetés. Ce message s’adresse aussi à la communauté internationale.
La présence de la Marine dans cette zone maritime est-elle amenée à se renforcer ?
CA G. P. : Nous connaissons actuellement une remontée en puissance dans les forces de souveraineté pour agir depuis nos outre-mers dans l’espace que je qualifierais d’Asie-Pacifique. Depuis quelques années, nous prévoyons des déploiements de navires basés en métropole, pour renforcer les coopérations et appuyer nos moyens permanents dans la zone. Je travaille actuellement avec l’état-major de la Marine pour préparer la suite du GAN et identifier les prochaines opportunités ou besoins de déploiement. J’ai ainsi à l’esprit le déploiement la mission Jeanne d’Arc pour l’année 2026, qui est susceptible d’évoluer dans le Pacifique.
Opération de contre-minage au large de Brest
Publié le 05/05/2025
Le groupe de plongeurs démineurs (GPD) de l’Atlantique embarqué à bord du bâtiment base de plongeurs démineurs (BBPD) Styx a mené une opération de contre-minage de trois munitions historiques dans l’avant-goulet de la rade de Brest. Équipés du recycleur de plongée CRABE MkII, ils ont neutralisé les trois munitions avec succès.

Sécuriser les biens et les personnes
Cette mission avait pour but la sécurisation des biens et des personnes contre le risque que peut encore représenter de tels engins explosifs.
En une semaine, les plongeurs démineurs ont neutralisé trois mines sous-marines de type MARK, d’origine britannique et datant de la Seconde Guerre mondiale. Chaque munition, repérée entre l’anse de Bertheaume et l’anse de Camaret par le chasseur de mines tripartites (CMT) Céphée, a nécessité plusieurs heures d'intervention, incluant l'élingage et le déplacement de la munition avant le contre-minage. Ces mines, bien qu’anciennes, représentaient un danger potentiel pour la navigation et les activités maritimes.
Une collaboration étroite entre les plongeurs démineurs et le Styx
Le BBPD Styx, navire de soutien spécialisé dans le support et le déploiement des plongeurs démineurs, a servi tout au long de la mission de base opérationnelle pour le détachement du GPD. Conçu pour offrir un appui logistique et de commandement, le Styx fournit tout le nécessaire pour permettre aux plongeurs d’agir dans des conditions optimales, à la fois pour leur sécurité et pour la précision de leurs interventions. La présence d’un caisson hyperbare à bord permet de mener les opérations de plongée en toute sécurité.

Un périmètre de sécurité d’un rayon de 3 000 mètres
Afin d’assurer le bon déroulement des opérations, plusieurs mesures ont été prises dont l’interdiction temporaire d’activités maritimes dans un rayon de 3 000 mètres autour des zones de déminage. De plus, les communes de Plouzané, Locmaria-Plouzané, Camaret-sur-Mer et Roscanvel ont pris des mesures pour interdire l’accès à certaines portions du littoral afin de minimiser les risques pour les habitants et les visiteurs. Enfin, des patrouilles maritimes et terrestres ont été renforcées pour garantir le respect de ces interdictions et assurer la sécurité de tous.
Les plongeurs démineurs ont suivi un protocole rigoureux pour chaque intervention. Après avoir relocalisé les mines, ils ont procédé à leur élingage, c'est-à-dire à leur fixation à des élingues pour les déplacer vers des zones définies en amont. Une fois les mines déplacées, les plongeurs ont alors pu procéder à leur neutralisation. Chaque étape de l’opération a été minutieusement planifiée et exécutée pour éviter tout risque d’explosion accidentelle.
Cette opération de contre-minage dans l’avant-goulet de la rade de Brest est un exemple concret de la capacité de la Marine nationale à répondre aux défis de sécurité maritime. Elle met en lumière l’expertise des plongeurs démineurs et la symbiose existante avec le BBPD Styx.

Le MICA Center, au service de la sûreté maritime
Publié le 06/05/2025
Pour la sixième année consécutive, le MICA Center a publié son bilan annuel sur la sûreté des espaces maritimes. Peu connu du grand public, cette structure est un rouage clé entre la Marine et l’industrie maritime.

Basé à Brest et placé sous l’autorité directe du sous-chef d’état-major opérations de l’état-major de la Marine (ALOPS), le Maritime Information Cooperation & Awareness Center (MICA Center) est le centre de sûreté maritime de la Marine nationale. Il est le centre français d’analyse et d’évaluation de la situation de sûreté maritime mondiale. Sept jours sur sept, 24 heures sur 24, le MICA Center recense, analyse et alerte sur les événements affectant la sûreté maritime mondiale grâce au travail collaboratif de sa trentaine d’experts issus de la Marine nationale et des marines des pays partenaires. Par ses échanges avec les nombreux centres maritimes ou agences répartis dans le monde entier, il entretient des liens étroits et suivis avec la communauté maritime mondiale. Il est aussi le trait d’union entre la Marine et l’industrie maritime.
Bilan 2024
Le 4 février dernier, le MICA Center a publié son bilan annuel sur la sûreté des espaces maritimes. Il recense et caractérise les événements relevés au cours de l’année 2024 affectant la sureté maritime dans le monde. Il dresse ainsi un état des lieux détaillé et propose une analyse inédite de l’évolution des menaces maritimes.
Ce bilan résulte d’un travail collaboratif et agrège notamment les analyses régionales des états-majors des différentes zones maritimes françaises, ainsi que celles des principaux partenaires du MICA Center, comme les Information Fusion Centres (IFC) de Singapour et du Pérou, le Centre opérationnel de la marine brésilienne (COMPAAz), le Centre régional de fusion d’information maritime de Madagascar (CRFIM), du Maritime Analysis and Operations Centre – Narcotics (MAOC-N) et France Cyber Maritime.
Dans un contexte de tensions internationales accrues, marqué par les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, les conflits armés terrestres débordent de plus en plus vers les espaces maritimes, avec des conséquences sur la liberté de navigation et la sécurité des infrastructures portuaires. En mer Rouge et dans le détroit de Bab-el-Mandeb, les attaques répétées des rebelles houthistes (124 navires ciblés dont sept sévèrement touchés au cours de l’année avec plus de 700 munitions utilisées incluant missiles balistiques, de croisière et drones), ont contraint le trafic maritime à se rediriger massivement via le cap de Bonne-Espérance (le trafic en mer Rouge s’est effondré de 60 %). Autour de la mer Noire, les infrastructures portuaires ukrainiennes ont été particulièrement endommagées et le risque de mines dérivantes reste toujours palpable. Enfin le développement massif d’une dark fleet, comprenant près de 700 tankers au profit de l’export de produits pétroliers russes sanctionnés, présente un enjeu de sécurité et de sûreté maritime.
Le retour de la piraterie et augmentation du narcotrafic
La piraterie, après plusieurs années de recul, connaît une réelle recrudescence (+110 % en un an avec 60 événements répertoriés), en particulier au large de la Somalie où le nombre d’incidents a plus que doublé. Elle reste également toujours présente dans le golfe de Guinée dans une zone restreinte entre l’île de Bioko, Sao-Tomé et la Guinée équatoriale. Le brigandage demeure également un problème persistant dans les détroits de Singapour (63 événements), le golfe de Guinée (26 événements) et les Caraïbes (124 événements), alors que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), menace toujours la sécurité alimentaire de populations dépendant de leurs ressources halieutiques, notamment en Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien.
Enfin, le narcotrafic atteint des niveaux records, avec plus de 2 700 tonnes de cocaïne produites par la seule Colombie cette année, plus que la production mondiale observée en 2023. Une telle production, couplée à la saturation du marché nord-américain, entraîne de fait une augmentation alarmante des flux de stupéfiants en provenance d’Amérique latine. L’industrie maritime est en première ligne avec un impact indéniable au travers de la contamination des conteneurs et plus récemment de la narco-piraterie aux abords de la Colombie et de l’Équateur. Face à ces défis, le MICA Center continue d’assurer sa mission de surveillance, d’alerte et d’assistance aux acteurs de l’industrie maritime, en collaboration avec les principales autorités militaires françaises et ses partenaires internationaux.

Teriieroo a Teriierooiterai, figure tahitienne de la France Libre
Publié le 07/05/2025
En baptisant Teriieroo a Teriierooiterai l’un de ses patrouilleurs outre-mer, la Marine nationale a voulu rendre hommage aux Tahitiens qui s’étaient ralliés au général de Gaulle dès juin 1940. Ce compagnon de la Libération est l’un des nombreux Tahitiens à s’être engagés dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

« Nous arrivâmes ainsi à cette journée de confusion totale, sinon de panique, que fut le dimanche 23 juin 1940. […] Il était question d’une demande d’armistice, ce qui consternait les uns, et d’une décision de toutes les colonies de poursuivre la lutte, dont d’autres faisaient état. […] Provenant de source américaine, on parlait aussi de l’appel du général de Gaulle, le 18 juin », écrit Jean Chastenet de Gery, alors gouverneur de Tahiti en 1940, dans ses mémoires intitulés Les derniers jours de la Troisième République à Tahiti, 1938-1940.
Quelques jours plus tôt, depuis Londres, le général de Gaulle s’est adressé sur les ondes aux Français. Il refuse la capitulation de la France et appelle à continuer la guerre. Son appel est cependant resté inaudible pour les Tahitiens comme pour toute une partie des habitants des territoires situés dans le Pacifique.
Combattre à des milliers de kilomètres
À Tahiti, l’annonce de l’armistice électrise les foules. L’ombre de la Grande Guerre plane au fenua, de nombreux chefs coutumiers étant d’anciens poilus. Sur un millier d’engagés, 300 ont été tués. Les Tahitiens se sont battus pour la France en 1914-1918 : ils se battront à nouveau aujourd’hui. La fibre patriotique de Tahiti fait naître un climat de désobéissance civile. Lors d’un vote populaire, le général obtient 5 164 voix contre 18 pour le maréchal Pétain. Pourtant, « le général de Gaulle, on ne le connaît pas. Les Tahitiens choisissent d’abord de continuer la lutte aux côtés des Anglais », modère Jean- Christophe Shigetomi, auteur de Tamari’i Volontaires : les Tahitiens dans la Seconde Guerre mondiale, spécialiste des faits d’armes des Polynésiens depuis la fin du xixe siècle.
En effet, la situation géopolitique des Établissements français d’Océanie ne leur offre pas beaucoup d’issues. Bordée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande à l’ouest, Hawaii au nord, l’archipel évolue dans un environnement anglo-saxon. Tahiti doit entretenir de bons rapports avec ses voisins pourvoyeurs de vivres : farine, sucre, huile, viande et savon sont importés de Nouvelle-Zélande et d’Australie.
Les intérêts à choisir le camp des Alliés sont aussi marqués par la forte influence anglo-saxonne sur l’archipel. La population est majoritairement protestante et les arbres généalogiques, fortement métissés : de nombreux Tahitiens ont des ancêtres anglophones. « D’un point de vue stratégique, les Alliés n’auraient pas pu voir ce bout de Pacifique tomber aux mains ennemies. La Nouvelle-Calédonie et Tahiti étaient prévues comme bases de repli stratégiques par les forces américaines », explique Jean-Christophe Shigetomi.
Le problème, c’est qu’à Tahiti, le gouverneur a les pleins pouvoirs et qu’il prône plutôt l’allégeance au gouvernement de Vichy. Aucune des figures gravitant autour du gouverneur ne semble capable d’adopter une position tranchée en faveur des Tahitiens. Face au parti pris des gens de pouvoir pour Vichy, les Tahitiens doivent chercher une figure de confiance, un metua, autour de qui se rallier en ces temps difficiles. L’un de ces chefs se nomme Teriieroo a Teriierooiterai.

Teriieroo a Teriierooiterai
Une voix chaude, forte et claire s’élève vers le ciel de Tahiti : « Aujourd’hui, toute la terre tahitienne s’anime, les esprits de la vallée et les esprits de la mer sont à nos côtés pour la lutte et les dieux farouches qui hantent les sommets de l’Aorai et de l’Orohena sont descendus vers nous pour nous soutenir dans la grande bataille. Jusqu’à la victoire, nous ne penserons plus qu’à la guerre. »
Instituteur de formation et chef du district de Papenoo, Teriieroo a Teriierooiterai (1875- 1952) est aussi un brillant orateur, qui parle pour et au nom des Tahitiens. Nommé au sein de la Chambre de l’agriculture en 1912, siégeant à l’Assemblée des délégations économiques et financières, il a contribué à améliorer de nombreux secteurs, dont l’agriculture de plantation et la construction.
Un chef coutumier compagnon de la Libération
Ses discours fédérateurs en font l’une des figures auxquelles se rallient les Tahitiens. Régulièrement reçu par le gouverneur avec d’autres notables tahitiens, il rejoint le groupe de Mamao qui oeuvre pour la France libre face aux pétainistes du comité français d’Océanie. Grâce à son influence sur les milieux indigènes de Tahiti, de nombreux Tahitiens s’enrôlent pour aller combattre en Europe dans les Forces françaises libres.
Pour ses services rendus à la France, il est fait compagnon de la Libération par le général de Gaulle, le 28 mai 1943, aux côtés d’autres figures tahitiennes marquantes.