Ursula Pacaud-Meindl : "Les sous-mariniers me voyaient comme l'un des leurs"

Publié le 01/06/2022

Auteur : ASP Anne-Claire Lefetz

Allemande, fille d’un général, elle a vécu la guerre dans l’Allemagne nazie. Pionnière de l’acoustique sous-marine, la Marine lui doit en partie son excellence dans la lutte anti-sous-marine. Recrutée en 1947 par la direction des constructions et armes navales, Ursula Pacaud Meindl se spécialise dans l’identification du bruit rayonné dans l’eau par les bateaux. « Mère » des oreilles d’or, son bateau-laboratoire d’acoustique deviendra l’un des plus importants centres en Europe et jouera un rôle prépondérant dans la formation des jeunes ingénieurs et techniciens de la Marine.

Après avoir fêté ses 100 ans le 15 mars, Ursula Pacaud-Meindl revient pour Cols bleus sur sa riche carrière au service de la Marine nationale, et plus particulièrement sur son rôle d’ingénieur au sein du laboratoire acoustique de la Direction des constructions et armes navales (DCAN) de Toulon. Sa spécialité : la mesure du bruit rayonné par les bâtiments en mer. Ainsi, avec son équipe du laboratoire du Brusc (à Six-Fours-les-Plages dans le Var), elle a réalisé pas moins de 1 140 mesures de bruits rayonnés dont 734 sur sous-marins. Une activité soutenue qui lui vaut aujourd’hui d’être considérée comme la mère de nos oreilles d’or.

Cols bleus : Quel a été votre rôle au sein du laboratoire de détection sous-marine ?

Ursula PACAUD-MEINDL : En 1955, j’ai eu la charge d’organiser ce service qui avait pour mission d’écouter le bruit que font les différents bâtiments en mer. Ils rayonnent tous dans l’eau, avec leurs hélices, leur moteur. Et, pour les sous-marins, c’est excessivement dangereux. C’est uniquement par ce bruit qu’ils peuvent être détectés, donc ils doivent être le plus silencieux possible. Je suis partie de zéro et, petit à petit, c’est devenu un service très important et internationalement connu. Nous étions également chargés de surveiller les sous-marins nucléaires à chaque appareillage. C’était un grand travail pour mon équipe et de grandes responsabilités.

 

C. B. : Comment êtes-vous arrivée à la tête du laboratoire de détection sous-marine ?

U. P-M. : Justement, c’est ça qui est incroyable. Je n’étais pas issue d’une grande école. Je suis allemande et à la fin de la guerre, alors que j’étais dans l’industrie, on m’a dit que je devais aller en France. Je savais que j’allais travailler pour la Marine nationale, mais c’est tout. Avant de partir, je suis allée voir mon père, général allemand alors prisonnier de guerre en Angleterre, et il m’a dit : « C’est très bien, montre-leur un peu comment nous sommes en vérité ! » Cette phrase m’a accompagnée tout au long de ma vie. Quand je suis arrivée en France, d’abord à Saint-Raphaël, j’ai rencontré un physicien qui faisait de l’acoustique sous-marine. On étudiait ensemble les problèmes des torpilles, et c’est lui qui m’a appris énormément sur le sujet. Après, j’ai été mutée à Toulon.

 

C. B. : Vous avez étudié l’acoustique des sous-marins en pleine guerre froide. Comment décririez-vous cette période ?

U. P-M. : Nous avions un dur travail pendant la guerre froide, ça c’est certain. Il y avait beaucoup de tensions et tout ce qu’on faisait était couvert par le secret défense. Récemment, j’ai reçu la lettre d’un amiral dans laquelle il m’écrit, à propos de cette période : « Madame, vous étiez notre assurance vie ».

C. B. : Il y a 55 ans, Le Redoutable était « lancé » à Cherbourg. Quels souvenirs gardez-vous de ce moment ?

U. P-M. : C’était le premier sous-marin français à propulsion nucléaire, et j’avais en charge ses mesures d’entrée en service, c’est-à-dire l’analyse de beaucoup de passes devant nos appareils pour tout décortiquer. Mais comme pour tous les sous-marins nucléaires de cette époque, j’ai fait les mesures à l’entrée en service et les surveillances à chaque appareillage. Je les suivais tous, pas seulement Le Redoutable.

 

C. B. : Comment avez-vous vécu le fait d’être une femme, qui plus est d’origine allemande, dans l’univers de la Marine nationale après la Seconde Guerre mondiale ?

U. P-M. : Finalement, ma vie a quelque chose de complètement hors du commun. J’étais la fille d’un général allemand très connu, un ex-ennemi en quelque sorte. Mais quand je suis arrivée en France, cela ne m’a jamais posé problème. Je n’oublierai jamais la largesse d’esprit des Français et leur accueil. Et être une femme dans ce milieu ne m’a jamais posé problème non plus. Ce qui était important, c’était que je travaille correctement. Et puis, j’étais très directe dans mon travail et finalement un peu intraitable.

 

C. B. : Et vous avez embarqué à bord de sous-marins nucléaires ?

U. P-M. : Oui, je me souviens particulièrement d’un embarquement de huit jours sur un sous-marin nucléaire où je devais être présente à bord pendant que le bâtiment faisait sa mesure de bruit rayonné. Là, c’est le seul moment où j’ai compris que ce n’était peut-être pas tout à fait ordinaire que je sois à bord, en tant que femme. Un amiral qui avait embarqué en même temps que moi pour l’occasion est venu me voir avant de repartir et m’a dit : « Vous n’ignorez pas que j’étais contre votre embarquement, mais je vous ai observée et je vous félicite pour votre travail ».

C. B. : Un événement vous a-t-il particulièrement marquée pendant votre carrière ?

U. P-M. : Ce qui m’a énormément touchée, c’est la confiance que la Marine a eue en moi au moment où La Minerve s’est perdue, en 1968. Un officier de Marine est arrivé chez moi, un soir, vers 23 heures, et m’a dit : « Ursula, Ursula, dépêchez-vous, on a besoin de vous ! » Dans la voiture, il m’explique alors que La Minerve s’est perdue et me demande si je peux écouter pour déceler des bruits de l’équipage à bord. On m’a alors emmenée sur une embarcation rapide pour rejoindre en mer un escorteur d’escadre. On m’a mis un casque sur les oreilles et on m’a demandé si j’entendais quelque chose. Je suis restée trois ou quatre heures comme ça, mais malheureusement, il n’y avait plus rien à entendre. Ça m’a énormément touchée, car cela a montré qu’ils avaient confiance en moi, même dans un moment si terrible. Les sous-mariniers, en qui j’ai toujours eu une confiance aveugle, me voyaient comme l’un des leurs. 

En juillet 2022, au CIRA, Mme Ursula Pacaud Meindel remet aux nouveaux analystes en guerre acoustique passive leur chronomètre, indispensable dans l'exercice de leurs fonctions

 

En savoir plus :

Une mesure de bruit rayonné est réalisée par une station d’écoute en présence du bâtiment à étudier, pendant une ou plusieurs heures. En effectuant des passages devant des hydrophones (microphones plongés dans l’eau), le bâtiment réalise alors ce que l’on appelle des passes correspondant chacune à une vitesse, une immersion et des réglages effectués à bord. Pour les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), les mesures étaient effectuées à l’entrée en service (20 passes) et à chaque départ en patrouille (3 à 6 passes).