SEABED WARFARE : la Marine nationale à la conquête des abysses !

Publié le 01/05/2022

Auteur : Olivier Bouzemane

La maîtrise de l’espace maritime s’étend désormais aux grands fonds marins. Alors que seul un dixième de leur surface est cartographié, leur utilisation croissante, pour l’acheminement de données ou l’exploitation de ressources énergétiques, a accru notre dépendance à ce milieu encore très difficile d’accès d’un point de vue technologique. L’analyse des activités sous-marines, qu’elles soient de nature militaire, commerciale ou scientifique, révèle l’émergence d’un nouveau champ de confrontation autrement nommé Seabed Warfare ou maîtrise des fonds marins. La France possède le deuxième domaine maritime au monde – à savoir 750 000 km² d’extension de plateau continental déjà reconnus et environ 400 000 km² susceptibles de l’être – dont 99 % des fonds sont situés à moins de 6 000 m sous la surface. Au-delà de 200 m de profondeur, la lumière solaire ne filtre quasiment plus, absorbée par la masse d’eau. Les 1 000 m dépassés, la pénombre cède place à la noirceur la plus totale, ponctuée de lueurs éphémères produites par quelques espèces marines des grands fonds. L’exploration de ces espaces difficiles d’accès est laborieuse et complexe.

SEABED WARFARE : La Marine nationale à la conquête des abysses !

LES ACTIVITÉS PROLIFÈRENT AU FOND DE LA MER

Accès aux ressources naturelles, zones d’intérêt géostratégique, économique ou militaire, les grands fonds aiguisent les appétits des États, sur fond de revendication territoriale – voire de remise en cause des équilibres existants – ou de compétition pour préparer l’exploitation des ressources de « La Zone », cet espace commun situé au-delà de toute zone économique exclusive. La maîtrise du milieu sous-marin, indispensable à la liberté d’action de nos forces aéromaritimes – au premier rang desquelles la composante océanique de la dissuasion –, s’étend dorénavant à celle des grands fonds marins avec une nette accélération ces dernières années. Pendant la Guerre froide, l’US Navy a développé un système permanent d’écoute sous-marine pour repérer les sous-marins russes. Depuis 2017, la Chine met en place un système de surveillance sous-marine axé sur la recherche de minerais, la cartographie et les enjeux de souveraineté. La Russie n’est pas en reste : elle développe un projet similaire de surveillance baptisé Harmonie et, ces derniers mois, elle travaille à la mise au point d’un drone sous-marin à propulsion nucléaire qui disposerait d’une très grande autonomie. Nombre de véhicules sous-marins semi autonomes sont mis en œuvre pour filmer, enregistrer, étudier ou intervenir, que ce soit dans le milieu civil ou militaire. Dans un futur proche, la technologie pourrait permettre de disposer d’installations sous-marines capables de recharger des drones ou d’utiliser des gliders, véritables planeurs sous-marins, qui pourront réaliser des patrouilles de plusieurs semaines. Outre l’enjeu militaire (liberté d’action des forces, sécurisation des activités dans les zones littorales et les zones économiques exclusives), le domaine intéresse aussi la recherche, l’industrie pétrolière ou offshore, les projets d’énergie renouvelable, l’industrie des câbles océaniques et demain, peut-être, l’exploitation des ressources minières devenues trop rares sur les territoires émergés.

 

PROTÉGER LES AUTOROUTES SOUS-MARINES DE L’INFORMATION

Les câbles sous-marins véhiculent 98 % du trafic international de données et, ce faisant, des intérêts géostratégiques, économiques et financiers des acteurs qui les utilisent. L’implication des Gafa (Google, Apple, Facebook, et Amazon) et les investissements des opérateurs pour améliorer leurs débits en témoignent. Compte tenu de l’impact qu’une atteinte à leur intégrité aurait sur les nations comme sur les opérateurs, il devient désormais indispensable de les surveiller grâce à des moyens spécialisés pour prévenir les ruptures de service, les intrusions ou les détournements.

 

LA GUERRE NAVALE NE PEUT PLUS S’ENVISAGER SANS MAÎTRISE DES FONDS MARINS

Les opérations de recherche du sous-marin Minerve, dirigées par la Marine nationale en juillet 2019, ont confirmé l’efficacité de capacités autonomes de recherche et d’intervention par grands fonds. La société américaine Ocean Infinity a mis en œuvre des drones (AUV) capables de parcourir plusieurs dizaines de nautiques², avec une autonomie de plusieurs jours, jusqu’à des profondeurs de 6 000 m. Équipés de sondeurs, de caméras et de magnétomètres, ces moyens ont permis de caractériser en trois jours les anomalies détectées puis de mettre en œuvre des mini sous-marins téléopérés (ROV : remote operated vehicule) qui ont pu identifier précisément les débris de la Minerve à 2 370 m de profondeur. La maîtrise des espaces maritimes passe par celle des fonds marins. Ce domaine embrasse à la fois la protection des infrastructures sous-marines, la lutte anti-sous-marine, la guerre des mines, la recherche et récupération d’objets abîmés en mer (débris, boîtes noires, épaves...), le développement de l’hydrographie et de l’océanographie, la gestion responsable et durable des ressources sous-marines dans les eaux sous juridiction française* ainsi que l’exploration des ressources minières de la haute mer, dans l’espoir de les exploiter un jour. Le développement de nouveaux programmes militaires à l’horizon 2027/2030 permettra de compléter et de prolonger les capacités d’action de certains moyens de guerre des mines, de navigation et de plongée autonome, d’hydrographie et d’océanographie, notamment avec les programmes SLAMF (système de lutte anti-mines futur) et CHOF (capacité hydrographique et océanographique future). Ces futures plateformes navales seront capables de déployer et de mettre en œuvre des AUV grands fonds et des ROV grande profondeur.

* Protection de l’environnement, des ressources, des intérêts économiques comme l’aquaculture, les énergies renouvelables, les zones marines protégées.