Objectif : -6000 mètres : préparer les capacités nécessaires à notre ambition
Publié le 01/12/2023
Connaître, surveiller et agir jusque dans les abysses. « La stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins est claire, précise le capitaine de frégate Patrick, de la sous-chefferie plans-programmes de l’état-major de la Marine (EMM/PP), nous devons à terme être en mesure d’intervenir jusqu’à 6000 mètres de profondeur ». Afin de répondre aux ambitions exprimées par le ministre des Armées, la nécessité d’un matériel de pointe s’impose. Bilan des opérations d’armement existantes ou en devenir.

Opérer sous la surface n’est pas nouveau pour la Marine. Depuis le Gymnote en 1887, ses submersibles y agissent régulièrement et, aujourd’hui, ses sous-marins nucléaires sont présents 24 heures sur 24. La lutte contre les mines est également un domaine d’expertise de la Marine. Les chasseurs de mines tripar- tites (CMT), équipés de sonars, de poissons autopropulsés (PAP) 104 et embarquant des plongeurs démineurs, peuvent rechercher et neutraliser une mine jusqu’à 100 m de fond. Dans le domaine de l’exploration et de l’expé- dition sous-marine, la Marine est également pionnière. Dès 1945, le Groupe de recherche sous-marine, ancêtre du Centre expert plon- gée humaine et intervention sous la mer (Cephismer) actuel, expérimente les tech- niques de plongée autonome. Des plongeurs de la Marine ont ainsi atteint les – 610 mètres dans les années 1990. En parallèle, à partir des années 50, le Cephismer a battu avec des bathyscaphes des records : – 4050 mètres pour le FNRS 3 en 1954, et – 9545 mètres en 1962 pour l’Archimède. Au début des années 2000, cette unité a lancé le scaphandre Newsuit et des ROV (remotely operated vehicle), c’est-à- dire des robots téléopérés comme Achille et maintenant Ulisse.
GUERRE DES MINES
Les CMT et les plongeurs démineurs restent aujourd’hui les principaux outils de la guerre des mines, mais ce modèle datant des années 1980 est amené à évoluer. Depuis plusieurs années, les marins des groupes de plongeurs démineurs mettent en œuvre des AUV (auto- nomous underwater vehicle), drones sous-ma- rins Allister 9. Ce drone de 2 mètres de long pour un poids de 70 kilogrammes est équipé d’un sonar conçu pour la détection et la clas- sification de mines jusqu’à 100 m de fond. Son petit gabarit lui assure une grande maniabilité – et deux hommes suffisent –, depuis un quai. Son excellente précision de navigation lui permet de travailler dans des milieux étroits comme les chenaux ou bras de mer.
À l’horizon 2024/2025, quatre modules de lutte contre les mines seront livrés et placés sous l’autorité du commandant de la flot- tille de lutte contre les mines (FLCM). Ils seront opérationnels en 2025. Chacun sera armé par une trentaine de marins et équipé des drones actuellement expérimentés dans le cadre du système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F). Ce système est composé d’un drone de surface remorquant un sonar, d’un second téléopérant un ROV permettant d’identifier et de neutraliser des mines et deux AUV capables de classifier des mines en toute discrétion. Chacun de ces quatre modules est piloté depuis la terre et sera, dans un premier temps, employé en soutien de la dissuasion. À échéance plus lointaine, quand les bâtiments porteurs sur lesquels ils embarqueront seront opérationnels, ces modules seront déployés plus au large.
ATTEINDRE LES ABYSSES
Aujourd’hui, le Groupe d’intervention sous la mer (Gismer) du Cephismer dispose de maté- riels en mesure d’atteindre jusqu’à 2000 mètres de profondeur. Ces capacités permettent de porter assistance à un sous-marin en détresse posé sur le fond, relever des torpilles ou encore détecter, rechercher et inspecter des épaves.Raison pour laquelle les marins du Gismer ont été choi- sis pour expérimenter, avec ceux de la FLCM, du Centre d’expertise des programmes navals (CEPN) et du Shom (Service hydrographique et océanographique de la Marine), les plongées vers les grands fonds. Ces expérimentations s’effectuent avec des matériels loués par la DGA ou en coopération avec des organismes comme l’Institut français de recherche pour l’exploi- tation de la mer (Ifremer) lors de campagnes d’exploration dénommées Calliope.
« Pour atteindre les objectifs de la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, dans un domaine où la technologie évolue sans cesse, nous avons décidé de procéder en trois étapes, expose le capitaine de frégate Clément (EMM/PP). La première, celle d’aujourd’hui avec Calliope, c’est l’expérimentation. Elle permet de former nos marins à la mise en œuvre et à l’entretien de ces matériels très spécifiques. Par exemple, à cause de la pression qui règne dans les abysses, la maintenance d’un système hydraulique capable de faire bouger le bras d’un ROV est différente d’un système hydraulique de surface. Autre objectif de cette phase : établir le cahier des charges de nos futurs matériels. Compte tenu de l’innovation permanente que connaît l’exploration des grands fonds, nous savons déjà que les appareils que nous allons faire fabriquer devront être évolutifs. À l’horizon 2026, nous ambitionnons d’atteindre la deuxième étape : disposer de premiers systèmes pouvant opérer jusqu’à - 6000 mètres que nous partagerons avec les scientifiques du CNRS et de l’Ifremer et qui contribueront à notre connaissance des grands fonds. Enfin, à partir de 2028, dernière étape : disposer de nos propres matériels c’est-à-dire, pour cette première capacité, des AUV et des ROV. »
Pour relever le défi capacitaire que représente la maîtrise des fonds marins, l’un des 10 objec- tifs du plan d’investissement « France 2030 », l’État s’engage à hauteur de trois cents millions d’euros, ce qui va permettre aux industriels français du secteur de proposer à la Marine les matériels dont elle a besoin.
L’utilisation des ROV ou des AUV nécessite également de disposer de navires de surface en mesure de les mettre à l’eau et de transpor- ter les 6 kilomètres de câbles nécessaires pour atteindre les grands fonds.
Aujourd’hui, les expérimentations sont menées depuis les navires de l’Ifremer, les bâtiments de soutien et d’assistance métro- politaines (BSAM), le Beautemps-Beaupré ou encore des bâtiments de soutien et d’as- sistance affrétés (BSAA). La question de la nécessité d’un bâtiment porteur dédié au transport et à l’utilisation des drones et des ROV, comme en a fait dernièrement l’acquisition la Marine britannique, reste posée pour l’avenir.

Les missions Calliope
Engagées depuis 2022, les missions Calliope consistent à développer une compétence dans les abysses, pour des opérations telle que la surveillance d’épaves afin de prévenir d’éventuelles fuites d’hydrocarbures, ou encore pour inspecter les câbles sous-marins, cibles parfois de ruptures ou de sabotages. L’objectif à moyen terme est de préciser le besoin capacitaire, d’affiner le concept d’emploi des drones et robots télé opérés sous-marins et d’appuyer la montée en gamme des équipes. Les opérations s’effectuent depuis les navires de la Marine ou ceux de l’Ifremer, et les opérateurs appartiennent principalement au Gismer, à la FLCM, au CEPN et au Shom. Ils utilisent des matériels comme le ROV Charlie, l’AUV A18D ou l’Hugin. Ce fut par exemple le cas lors de la mission Calliope 23.1, du 23 mai au 3 juin 2023 au large de Brest, où le drone sous-marin autonome Hugin Superior a effectué une plongée jusqu’à 4 500 mètres depuis le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain (BSAM) Garonne. Cette campagne a permis de découvrir et identifier l’épave du remorqueur de 250 chevaux Gélinotte. Utilisé comme cible d’entraînement au tir en 2003, sa position précise n’était pas connue.
