Le porte-avions nucléaire, un instrument de puissance incomparable
Publié le 11/07/2025
Entretien avec le capitaine de vaisseau (CV) Georges-Antoine Florentin, commandant du porte-avions Charles de Gaulle.

Quels sont les avantages stratégiques de la propulsion nucléaire ?
CV G.-A. F. : L’autonomie et la capacité à durer à la mer font partie des avantages d’une marine hauturière comparée à une marine contrainte d’opérer à proximité de points d’appui. En tant que commandant, je n’ai ni à me soucier du plein, ni de ma consommation pour la propulsion. Le porte-avions (PA) peut naviguer à vitesse élevée pendant plusieurs jours sans difficultés. Une allonge qui procure un avantage tactique certain, celui de la mobilité. Le porte-avions parcourt 1 000 km par jour, ce qui lui permet de se repositionner d’un théâtre à un autre sans être contraint par un train logistique important. La liberté de manœuvre en temps de guerre permet d’être au bon endroit au bon moment et de faire peser l’incertitude chez l’adversaire.

Avez-vous un exemple éloquent ?
CV G.-A. F. : En 2021, une frégate et un sous-marin russes nous attendaient alors que nous rentrions en Méditerranée par le canal de Suez. Nous avions besoin de mettre en œuvre nos aéronefs. La mobilité et l’endurance conférées par la propulsion nucléaire nous ont permis de nous déplacer et « d’essouffler » la frégate qui, au départ, cherchait à contraindre notre cinématique.
Vous parlez d'une "équipe de France du porte-avions nucléaire", qu'entendez vous par là ?
CV G.-A. F. : Il s’agit de toutes les personnes qui permettent à la France de disposer de cet instrument de puissance incomparable qu’est un porte-avions nucléaire. Il permet d’obtenir la supériorité aéromaritime, c’est-à-dire qu’il est capable de projeter la puissance aérienne au cœur du territoire de l’adversaire et ainsi avoir une action décisive. Si le PA est mis en œuvre par un équipage de 1 800 marins, il a besoin du soutien de tout un écosystème autour du bateau. Il y a bien entendu l’état-major de la force d’action navale, l’état-major de la Marine, le service de soutien de la Flotte et puis les industriels, qui permettent de maîtriser et entretenir cet outil. Sans ces experts, la France ne pourrait pas mettre en œuvre le Charles de Gaulle (CDG).
Cette expertise ne s’improvise pas. Les capacités industrielles pour concevoir, entretenir des chaufferies et les faire évoluer de génération en génération nécessitent un effort dans la durée qui résulte d'une volonté forte pour maintenir ces compétences. Il ne faut pas attendre qu’une génération soit partie à la retraite pour concevoir de nouvelles chaufferies nucléaires, car nous y perdrions notre savoir-faire. Le président de la République a fait le choix d’une propulsion nucléaire pour le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) pour entretenir ces savoir-faire de pointe, qui seront utiles pour les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3e génération.
Quelles compétences pour mettre en œuvre la propulsion nucléaire navale ?
CV G.-A. F. : Techniquement et physiquement, le travail dans une chaufferie nucléaire est exigeant. Les marins doivent avoir un très bon niveau, être capables de comprendre le fonctionnement d’un réacteur et de conduire une chaufferie nucléaire. Le sujet du recrutement est fondamental et il commence à l’école. Il faut susciter chez les jeunes Français une appétence pour les sciences, les phénomènes physiques complexes afin de faire naître des vocations et former nos futurs atomiciens.
Quels sont les prochains défis ?
CV G.-A. F. : L’arrêt technique majeur du Charles de Gaulle et l’arrivée du PA-NG. Il est crucial d’augmenter le nombre d’atomiciens qui pourront servir sur l’un ou l’autre des porte-avions. Je peux témoigner de la fierté des marins qui servent sur le PA. Ce que l’on fait à bord est absolument extraordinaire. Ce bateau est vraiment addictif, et une fois que l'on y est passé, on a envie d’y revenir. Pourquoi ? Parce que c’est une aventure humaine unique.
La propulsion nucléaire sur le PA-NG
Fin 2020, le président de la République décide que le PA-NG sera équipé de deux chaufferies nucléaires. Sous la maîtrise d’ouvrage du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de la DGA, une nouvelle page de l’histoire de la propulsion navale est alors lancée, mais, contrairement au CDG qui est équipé de chaufferies K15 développées pour les SNLE, il est nécessaire de concevoir spécifiquement des nouvelles chaufferies – dites K22 – pour le PA-NG en raison de son tonnage (77 700 tonnes) et de ses besoins en puissance pour atteindre la vitesse de 27 nœuds. Le PA-NG doit s’adapter aux besoins d’un bâtiment de combat « tout électrique » équipé de trois moteurs électriques de propulsion et de trois rails de catapultes électromagnétiques. En outre, les K22 doivent stocker suffisamment d’énergie pour permettre au PA-NG de naviguer dix années pleines entre deux arrêts techniques majeurs. Les travaux de réalisation ont été lancés dès 2024, en avance sur le reste du programme, pour tenir les délais de conception et permettre aux K22 d’intégrer la coque du PA-NG durant la décennie 2030.
CV Thibault
Lieutenant de vaisseau David
Chef du service chaufferies sur le porte-avions

"43 marins œuvrent dans mon service, tous des experts. Cette expertise est essentielle, car si le nucléaire est une véritable avancée technologique, il requiert un haut niveau de technicité pour une fiabilité à toute épreuve. La dernière mission Clemenceau a été remarquable en tout point mais ce qui nous a permis de partir cinq mois, c’est la disponibilité des chaufferies. Nous sommes revenus à Toulon aussi disponibles qu’à notre départ, nous étions en mesure de repartir dans la foulée. Il n’y a rien de magique, c’est grâce aux 350 marins du groupement navire qui ont travaillé d’arrachepied pour la disponibilité du bateau. Le moindre signal faible était traité pour que la mission continue. Ils ont réussi à faire la plupart des maintenances en autonomie, sans point d’appui hexagonal. 80 % des avaries ont pu être résolues grâce aux différentes compétences à bord et à l’ingéniosité française. "