Métaux stratégiques, la tentation des abysses
Publié le 18/06/2025
Les convoitises du président américain Donald Trump sur les minerais et terres rares du Groenland et de l’Ukraine sont la partie visible de la compétition mondiale pour l’accès aux ressources naturelles. Une autre course se joue sous le dioptre.

En effet, des gisements de métaux stratégiques présents dans les profondeurs de la mer suscitent l’intérêt de certains États et entreprises tandis que la demande en minerais pourrait quadrupler à l’horizon 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
À 20 000 lieues sous les mers, les ressources minérales se retrouvent sous trois formes géologiques distinctes et à des profondeurs différentes : les nodules polymétalliques, les amas sulfurés hydrothermaux et les encroûtements cobaltifères. Ils contiennent une concentration élevée de métaux prisés comme le manganèse, le cuivre et le cobalt : des éléments qui sont indispensables à la transition énergétique, aux technologies modernes et aux industries de défense. Aujourd’hui, il n’existe aucune exploitation commerciale des ressources minérales en grande profondeur. En revanche une trentaine de contrats d’exploration a été signé dans la zone de Clarion-Clipperton, dans la dorsale médio-atlantique et dans les océans Indien et Pacifique. Ces explorations sont autorisées par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), chargée de réguler les activités dans la « zone » c’est-à-dire tous les fonds marins au-delà des juridictions nationales.
Interdire ou encadrer les activités minières des abysses ?
L’AIFM est écartelée entre deux missions : l’encadrement des activités minières dans la Zone et la protection et la préservation de ce milieu qui a le statut de « patrimoine commun de l’humanité ». Ce potentiel minier sous la mer séduit de plus en plus et la pression industrielle est forte. Problème : « Les négociations pour un code minier international n’ont toujours pas abouti, et au vu des divergences persistantes entre les États membres, il est peu probable que 2025 soit l’année d’un consensus sur cette question », explique Romane Lucq, analyste en stratégie internationale spécialisée sur les enjeux maritimes pour l’IRIS, l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Dans la perspective de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3) qui se tiendra à Nice en juin, la France entend défendre une position ferme contre l’exploitation minière des abysses. Un rapport publié le 31 mars dernier par un comité scientifique constitué de 17 membres venant de 15 pays différents préconise un moratoire de dix à quinze ans avant l’entrée en vigueur d’un code minier pour l’exploitation des grands fonds. Cette pause de précaution permettrait de déterminer les impacts de ces exploitations sur la biodiversité et le fonctionnement global de l’océan. Et justement, l’été dernier des scientifiques ont découvert un phénomène jusqu’ici totalement inconnu : les nodules, ces précieux galets récupérés dans les grands fonds marins pour extraire ensuite du nickel, du cobalt, du cuivre et du manganèse, seraient capables de produire de l’oxygène dans les abysses, sans photosynthèse.
Selon Romane Lucq, « l’exploitation minière des fonds marins divise profondément la communauté internationale, et les incertitudes qui entourent son développement ont conduit à une fragmentation des positions entre acteurs ». Malgré un consensus scientifique sur la nécessité de faire progresser la connaissance, encore très lacunaire, des fonds marins, d’autres acteurs, étatiques et privés, sont favorables à des distributions rapides de licences d’exploitation. Parmi eux, la Chine, qui détient déjà sur Terre un quasi-monopole sur le raffinage des terres rares et de nombreux autres minerais critiques, est particulièrement active au sein de l’AIFM et fait partie des principaux promoteurs d’une exploitation rapide. La Russie, l’Inde, et certains états insulaires du Pacifique comme Nauru et les Îles Cook, sont sur la même ligne. Sans préavis, le président américain Donald Trump a signé le 24 avril dernier un décret réclamant « d’accélérer l’examen » de candidatures « et la délivrance de permis d’exploration et d’extraction » de minéraux dans les eaux territoriales et internationales. Un coup de force considéré comme un véritable affront à l’AIFM. Quelques jours plus tard, l’entreprise The Metals Company (TMC), pionnière dans la prospection minière sous-marine, a annoncé avoir déposé la première demande d’exploitation minière commerciale dans les eaux internationales auprès des États-Unis. « La volonté de TMC et des États-Unis de contourner les mécanismes multilatéraux établis par le droit international a été vivement critiquée », analyse Romane Lucq. Ces derniers rebondissements pourraient encore accélérer le clivage entre les « pro » et les « anti ». l