Mission Bougainville : sept mois à bord du Champlain

Publié le 01/07/2024

Auteur : La Rédaction

Née d’un partenariat entre Plankton Planet, Sorbonne Université et la Marine nationale, la mission Bougainville vise à étudier le plancton dans les océans Indien et Pacifique. Les aspirants Thomas et Manon reviennent sur leur expérience après sept mois embarqués à bord du Champlain.

L’arrivée à bord se fait de manière naturelle. Les marins sont curieux et intéressés par nos prélèvements, ils viennent volontiers observer les petits organismes microscopiques que nous récoltons. Nombreux sont ceux à être déjà familiers avec le plancton, pour avoir observé des tâches bioluminescentes le long de l’étrave de leur bâtiment, au large de Brest ou de Toulon.

Notre présence sur le Champlain se justifie par une mission scientifique très précise : installer, tester et perfectionner nos protocoles. Notre objectif : réaliser le plus de prélèvements possibles au mouillage ou au large, de jour comme de nuit, afin d’en apprendre davantage sur le plancton, dont le rôle est indispensable dans nos écosystèmes. Rappelons que celui-ci est à la base de la chaîne alimentaire et que toutes les pêcheries en dépendent. Il joue également un rôle essentiel dans la régulation du climat car il permet la production de 50 % de l’oxygène et l’absorption de 30 % des émissions de gaz à effet de serre produites par l’Homme.

Pour l’ensemble de ces tâches, nous pouvons heureusement compter sur les compétences et la bienveillance de l’équipage. Que ce soit lors de l’installation tout en haut de la mature de notre capteur PhotoActive Radiation (PAR), qui mesure la quantité de lumière nécessaire à la photosynthèse* reçue par l’océan, ou pour optimiser le déploiement de nos filets permettant la récolte du plancton, l’équipage se révèle une aide précieuse. Les premières stations d’échantillonnage sont rapidement opérationnelles. Au sein de chaque station, nous procédons à différentes mesures : un profil vertical mesurant la salinité et la température sur les 100 premiers mètres, et deux coups de filets de petites mailles, respectivement 50 et 20 micromètres (soit 0,05 et 0,02 millimètres) afin de concentrer le plancton présent dans la zone. Les données récoltées sont ensuite analysées dans le local plongeur, transformé pour l’occasion en laboratoire. Nous utilisons deux techniques différentes pour étudier la diversité de ces organismes : la génomique, qui nous permet de savoir qui est présent à l’aide de l’ADN récolté dans les filets, et l’imagerie quantitative, qui, à partir de photos, nous informe sur les organismes présents ainsi que sur leur abondance.

Des paysages spectaculaires

La découverte des îles du canal du Mozambique sonne comme l’acmé du voyage. Lors de notre première escale à Mayotte, la navigation dans le chenal nous apparaît spectaculaire : les îles touffues contrastent avec les paysages réunionnais. Notre présence en eaux tropicales est saluée par l’apparition de petits poissons volants, les fameux exocets, poursuivis par un ballet de fous et de frégates. Quelques jours plus tard, nous découvrons l’archipel inhabité des Glorieuses, l’une des cinq terres composant les îles Éparses, avec Tromelin, Juan de Nova, Bassas da India et Europa, devenues depuis février 2007 le cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Lutte contre le narcotrafic

Notre embarquement est indissociable du volet opérationnel des missions du Champlain. Prérequis de notre aventure, nous devons nous adapter à la vie embarquée au sein d’un équipage, au sein d’un carré, et participer à tous les entraînements de sécurité et de navigation. Chaque jour se lève avec une nouvelle opportunité d’apprendre et de découvrir un environnement inédit, nous familiarisant peu à peu avec la lecture des cartes marines, l’astronomie et le travail d’équipe. Hasard du déploiement du BSAOM, l’équipage est appelé à intervenir par deux fois dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Aucune étape ne nous est dissimulée. Nous participons au processus qui va conduire à la saisie puis à la destruction de la drogue. Nous découvrons également comment s’opère un pistage de boutre, petit bateau traditionnel en bois à la poupe élevée largement présent en mer Rouge, et les moments de tension quand celui-ci disparaît des radars. Ces opérations s’avèrent bien éloignées de la vie universitaire, où le réveil sonne rarement à 3h15 du matin ! Plus généralement, cette première mission aura été une clé de compréhension très utile sur la polyvalence du bâtiment et la nécessité d’être prêt à se reconfigurer en permanence. Grâce aux nombreux entraînements à bord, nous avons pu développer de nouvelles compétences, peu communes pour des biologistes marins : pompier lourd, maniement du HK416, et pour l’aspirant Thomas, l’expérimentation d’un hélitreuillage avec la section aéroportée de la gendarmerie (SAG) de Mayotte.

Participer à une telle mission réserve aussi des surprises que nous ne mesurions pas avant d’embarquer à bord du Champlain. Les escales se succèdent et ne se ressemblent pas, nous ouvrant ainsi les portes vers des mondes inconnus. Après l’île Maurice, Madagascar, et Zanzibar, l’escale au Kenya restera notre coup de cœur, ayant eu la chance de pouvoir participer à un safari avec l’équipage, qui profitait de quelques jours de relâche opérationnelle. Des paysages très arides à l’opposés de ceux aperçus sur les îles Eparses : le contraste entre les eaux turquoises et la savane, mais également entre les éléphants, les plus grands animaux terrestres et le plancton, le plus petit animal marin, restera un souvenir qui nous marquera à vie.
 

 

Sensibiliser le public au rôle du plancton

Un autre objectif essentiel de la mission est de sensibiliser le public ainsi que les marins au rôle crucial du plancton dans les océans. Nos périodes à terre permettent d’analyser les données collectées en mer et de faire le lien avec les scientifiques responsables de la mission Bougainville. Ces instants sont également féconds pour échanger avec les scientifiques locaux et les lycées. C’est le cas à la Base navale de Port-des-Galets et à bord du Champlain, où nous avons organiser un événement réunissant une vingtaine de scientifiques pour présenter nos premiers résultats et explorer des possibilités de collaboration.

Sept mois plus tard, le résultat est plus qu’honorable : cinq missions, une cinquantaine de stations de prélèvements, ayant recueilli une centaine d’échantillons. D’un point de vue scientifique, les prélèvements se révèlent extrêmement intéressants car la diversité des organismes présents dans la région des îles Eparses est encore méconnue, et il est primordial de la décrire. D’un point de vue personnel, étant les seuls scientifiques à bord, nous portions la responsabilité de l’échantillonnage : une expérience incroyablement enrichissante étant donné notre jeune âge. C’est une aventure unique qui allie science, exploration et croissance personnelle. Une expérience professionnelle et humaine hors du commun.