Mer & Espace Un enjeu de sécurité mondiale
Publié le 22/04/2024
Au cœur d’enjeux stratégiques et vitaux, mers et espace sont des espaces communs au même titre que le cyberespace. Ils sont aussi théâtres de contestation, de convoitise et de rivalité. Dans un monde globalisé où le fait maritime est partout, avoir la connaissance et la maîtrise du spatial est essentiel pour continuer à circuler et agir librement, conserver une capacité autonome d’appréciation, acquérir une supériorité maritime. Pour assurer la défense et la sécurité, tant au niveau national que mondial. Quelle est la place de l’espace dans les opérations navales ? Comment la Marine y participe-t-elle ? En quoi une coopération avec le Commandement de l’Espace est-elle indispensable ? DOSSIER RÉALISÉ PAR VIRGINIE DE GALZAIN, AVEC LA PARTICIPATION DE MAXENCE LIDDIARD.

Jean-François Clervoy, Claudie Haigneré, Hervé Stevenin
Mer et espace : regards d’explorateurs
Claudie Haigneré et Jean-François Clervoy sont astronautes. Hervé Stevenin est instructeur aux sorties extravéhiculaires dans l’espace. Elle est la première femme française dans l’espace. Il est le plus jeune Européen à avoir été sélectionné et à avoir effectué un vol spatial. Le troisième est l’un des rares Français à avoir le titre d’aquanaute. Explorateurs d’inconnus en quête de solutions pour l’humanité, ils ont repoussé les limites scientifiques et humaines. Témoins d’exception, mémoires et passeurs inspirants, ils nous invitent à réfléchir, à rêver, à agir pour ces espaces qui nous relient.
Jean-François Clervoy, astronaute ESA1/NASA2, fondateur d’Air Zero G*
« Seize tours du monde par jour... À près de 400 kilomètres de la Terre, notre planète apparaît bornée sur le fond noir du cosmos. On ne voit pas les étoiles. La couleur dominante est le bleu. On a l’impression de survoler presque uniquement de l’eau. Une eau dont la couche est en réalité très mince ramenée à l’échelle de la planète. Or, les océans sont la principale source de vie.
Une fois dans l’espace, un phénomène extraordinaire, l’overview effect, marque tous les astronautes à vie et vous submerge jusqu’aux larmes. C’est un mélange d’émerveillement devant la beauté de la Terre, de respect et de joie de vivre sur une si unique planète. L’expérimenter à plusieurs, réunis dans un même vaisseau spatial, ajoute à l’intensité de l’expérience. Je suis pour ainsi dire tombé amoureux de la Terre à ce moment-là. Dès lors, transmettre ce vécu est devenu impérieux. J’ai rencontré plus de 1 000 classes pour sensibiliser, informer, tant en lien avec l’UNICEF et le WWF qu’à titre personnel. Je parraine l’association polynésienne Te mana o te moana (l’esprit de l’océan) qui œuvre pour la protection de l’océan et la sensibilisation du public. Une association membre du réseau Océan mondial, que je soutiens également.
Mon père était pilote de chasse. J’ai grandi avec les missions APOLLO. Je rêvais d’aller dans l’espace quand j’étais gamin ! Plus tard, j’ai fait des études scientifiques et techniques et suis devenu télécommandeur de sondes interplanétaires. À force de volonté et d’audace, j’ai été sélectionné astronaute. J’avais 26 ans. J’ai été envoyé à l’École de plongée de la Marine nationale pour passer des qualifications. Cette expérience est indispensable pour préparer tout astronaute aux opérations en milieu extrême et hostile avec tous les risques associés, de jour comme de nuit, et aux mouvements dans les trois dimensions comme dans l’espace... J’ai effectué trois vols spatiaux entre 1994 et 1999 : deux à bord de la navette Atlantis et un à bord de Discovery. Lors de mon premier vol, en regardant par le hublot, j’ai vu l’Europe surprise par de violents orages. Admiratif respectueux, j’ai pris conscience de la fragilité du vivant, et donc de l’humanité, face à la puissance climatique et volcanique de notre planète. C’est à force d’observer que l’on peut voir les correspondances entre l’action humaine et les impacts sur les océans et les terres, en comparant des photos prises lors de différentes missions. En tant qu’experts de l’observation de la Terre, des phénomènes naturels et artificiels, de zones de pollutions maritimes ou industrielles, nous sommes des témoins et une mémoire. »

Claudie Haigneré, astronaute CNES3/ESA
« “Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose (...) fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer”, écrivait Saint-Exupéry. Désir de mer, désir d’espace, avec une âme d’explorateur curieux de découvrir et d’apprendre, avec la détermination à relever les défis d’un monde plutôt hostile, avec l’envie d’intégrer un équipage compétent et soudé pour parcourir des espaces sans frontières. La planète Terre découverte par le hublot de la station spatiale à 400 km en orbite est d’une beauté qui émerveille, elle est cette blue dot** isolée dans un cosmos noir et mystérieux. Certaines orbites ne sont presque que traversées de l’immense océan Pacifique, d’autres nous offrent la vision d’îles parsemant les océans dans toutes leurs nuances de couleurs, d’autres encore nous subjuguent du tracé des fleuves et de leurs majestueux deltas ou estuaires. Parfois, cette vision poétique d’une planète bleue porteuse de vie est assombrie par la présence angoissante de cyclones ou la constatation des pollutions maritimes.
Dans ce regard à distance, conscient de la finitude de notre planète, de sa fragilité et de ses vulnérabilités, c’est encore Saint-Exupéry qui avait trouvé les mots justes : “Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire”. Un signe que ces immensités, sans appartenir à personne, nous appartiennent à tous : vaisseau terrestre parcourant le système solaire, vaisseau spatial orbitant dans un espace infini, vaisseau sillonnant les mers et les océans. Ces milieux encore incomplètement explorés, et donc méconnus, sont à la fois des défis et des opportunités. Défis scientifiques et techniques pour y accueillir la présence humaine dans un milieu hostile, défis à notre responsabilité pour préserver ces joyaux porteurs et producteurs de vie, biens communs de l’humanité. Opportunités d’exploration inspirante propice à l’embarquement et d’innovations fructueuses, mais aussi promesses d’exploitation de ressources et territoires, à gérer avec sagesse.
Si nous nous posons, souvent avec raison, la question ”Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ?“, nous devons aussi la renverser : ”Mais quels enfants allons-nous laisser à la planète ?“ Je veux souligner par là le rôle qui est le nôtre de veiller à une éducation qui à la fois prépare la jeunesse à la complexité du monde, mais aussi l’inspire pour garder vivace la curiosité et la capacité à s’étonner et s’émerveiller. En ce qui concerne la sagesse que nous a apportée notre navigation personnelle, sachons la transmettre en héritage. »
Hervé Stevenin, Instructeur d’astronautes de l’ESA pour les sorties Extravéhiculaire
« Mon métier : entraîner les astronautes aux sorties extravéhiculaires dans des conditions spatiales en bassin d’immersion. Plonger, être formé sous l’eau permet de s’habituer aux sensations de travail en apesanteur sur de longues périodes.
J’ai été entraîné dans des scaphandres : américain en 2014 et 2018 à la NASA et russe en 2011. Je suis aussi aquanaute (NEEMO 19), un titre donné aux membres d’équipage qui participent à la mission NEEMO, une simulation de mission spatiale et une formation en milieu extrême réalisée dans le module Aquarius, immergé par 20 mètres de fond en Floride. Sa particularité est d’être à la pression ambiante. On y est en saturation complète d’azote et le retour à la surface nécessite 17 heures de décompression lente avec une heure de respiration d’oxygène. La contrainte vitale impose à l’équipage d’avoir une rigueur et une discipline pour appliquer les procédures proches de celles nécessaires dans l’espace, notamment lors d’urgences majeures : dépressurisation, feu, toxicité de l’atmosphère. Ces risques, la responsabilité de la survie de l’autre, favorisent une cohésion rapide et très intense. L’isolement joue également un rôle clé. L’observation de l’environnement est un autre révélateur. On découvre le cycle récurrent journalier de la vie sous-marine. Une chorégraphie où chaque espèce, à des moments définis, est respectée – ou mangée – par les autres ! J’ai réalisé à quel point c’était ”nous“ les étrangers, comme nous le ressentirions sur une autre planète.
Mon quotidien est en Allemagne, où les nouveaux astronautes de l’ESA vont arriver en avril. Ils vont être entraînés aux protocoles des sorties extravéhiculaires dans notre bassin d’immersion (10 mètres de fond). Ces règles sont essentielles pour travailler ensuite efficacement et en sécurité à l’extérieur de la Station spatiale internationale (ISS). Le scaphandre limite en effet considérablement la dextérité, la mobilité et la capacité de percevoir l’environnement et les équipements que l’on transporte. C’est un vrai défi. On n’a pas le droit à l’erreur. Par exemple, on doit toujours être attaché par deux points : partir dans l’espace comme dans le film Gravity n’est pas une option ! Tout cela se prépare à l’avance, d’abord au Centre des astronautes européens, puis à la NASA, à Houston.
On collabore avec des personnes de nationalités différentes, avec une vraie culture d’adaptation et de tolérance. Quoiqu’il se passe, tout le monde s’entend car la survie est en jeu. La Station spatiale internationale est un immense symbole de paix. Ce vers quoi on doit s’orienter quand on regarde vers le futur. »
Propos recueillis par Virginie de Galzain
1. ESA : Agence spatiale européenne.
2. NASA : Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace.
3. CNES : Centre national d’études spatiales.
* Air Zero G : www.airzerog.com/fr
** Pastille bleue.

APPUI AUX OPÉRATIONS NAVALES
En quoi l’espace est indispensable à la Marine
Tout comme nos activités humaines depuis plus de 30 ans, la Marine est spatio connectée. Mais de quoi parle-t-on ? Quels sont ses enjeux au quotidien pour les opérations et les opérationnels ? En quoi les fonctions des capacités spatiales sont-elles vitales ?
Mer et espace : Un lien crucial
Intimement liée à la révolution numérique, l’arrivée du spatial a irrigué tous les secteurs essentiels à la Marine, aux marins et aux opérations navales. Il est indispensable pour le positionnement et la navigation (Global navigation satellite system/GNSS ou positionnement par satellite : Galileo*, GPS...), la météo, la synchronisation des serveurs. Il est fondamental pour se connecter, communiquer (satellites de communication militaires français Syracuse et franco-italien Athena-Fidus, satellites civils) et dialoguer avec les unités et les forces déployées. Il est essentiel pour observer, se déplacer et, par extension, pour protéger, assurer la sécurité et se défendre. En substance, il est crucial que les bâtiments et les forces de la Marine puissent disposer de l’appui des satellites de communication qui fonctionnent, des systèmes de navigation fiables et de position aussi précise que durable, du renseignement. Une capacité qui doit pouvoir résister aux risques, menaces et agressions.
Les capacités spatiales sont indispensables pour aider à la décision, pour conduire toute manœuvre militaire comme un engagement dit de haute intensité. Elles sont également un enjeu de développement et d’emploi de systèmes d’armes, de leur ciblage et de leur guidage. En effet, le rôle de l’espace est majeur en matière de recueil de renseignement, et donc de souveraineté. « C’est une opportunité pour avoir la maîtrise des données et une supériorité dans les opérations navales : comprendre quelques dizaines de secondes avant l’adversaire peut se révéler décisif », précise le capitaine de frégate (CF) Alexis, adjoint au chef du bureau Stratégie au Commandement de l’Espace (CDE). Que ce soit avec des satellites militaires, ou civils d’opérateurs de confiance, il offre des capacités de détection et de renseignement d’origine image, infrarouge ou radar (Composante spatiale optique/CSO militaire) et électromagnétique (satellite CERES), est un soutien à la détection et à l’identification. Les bâtiments de la Marine (navires, sous-marins, aéronefs) sont équipés de senseurs capables d’intercepter des émissions radio et radar, d’observer les mouvements de l’adversaire, de reconnaître ses capacités et systèmes d’armes, de produire du renseignement d’origine électromagnétique, image et acoustique (voir Cols bleus n° 3109 spécial renseignement). Autant de fonctions vitales qui permettent de gagner en ubiquité et en précision.
De la Méditerranée à l’Indopacifique, les mers et océans sont de plus en plus contestés. La guerre en Ukraine, la destruction du croiseur russe Moskva rappellent chaque jour la menace d’un conflit naval de haute intensité. Face à l’accélération du « tempo » de la guerre, au développement exponentiel des données, le défi est de pouvoir extraire rapidement les informations utiles à des fins d’action, de détecter la menace le plus tôt possible pour réagir (missiles hyper véloces entre autres), de raccourcir la boucle du renseignement et celle de l’engagement, d’empêcher l’adversaire de boucler la sienne. La survie de l’équipage et du bâtiment, leur capacité à poursuivre la navigation et le combat dans la durée (survivabilité) sont en jeu. Car en matière de combat de haute intensité, le temps est capital : chaque seconde compte. Connaître d’une part, partager d’autre part la situation construite notamment par les capteurs spatiaux est primordial pour planifier et conduire des opérations. Avoir des réponses à « Qui est sur l’eau ? », « Où ? », « Combien de navires et quelles armes ? », « De qui est-on visible ? », « Par qui ? » est vital. Et avoir un satellite au-dessus de ses bâtiments a un impact sur la manœuvre réalisée en connaissance de cause. Cela implique de garder une capacité de non visibilité et à construire une manœuvre qui limite, par exemple, la détection du Groupe aéronaval (GAN) ou d’une frégate. Un atout par rapport à l’espace où, une fois détecté, le suivi est plus prévisible. En ce sens, le Commandement de l’Espace de l’armée de l’Air et de l’Espace a un rôle stratégique.
Dans le cadre de l’action de l’État en mer, les moyens de surveillance des zones maritimes s’appuient également sur l’espace, dont Trimaran III de CLS (surveillance et analyse des données) auquel participe la start-up française Unseenlabs, spécialiste de la géolocalisation radiofréquence. Son service repose sur des données fournies par une constellation de huit satellites capables de capter les signaux des radiofréquences (RF) des navires en mer, de les géolocaliser et de les identifier quelle que soit la météo. Et ce, même s’ils ont désactivé leur AIS (système d’identification automatique) pour mener des activités militaires ou illicites. Sur l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE), ils surveillent les trajectoires et comportements suspects, détectent des pratiques illicites. « Nous avons une zone maritime immense à surveiller (10,8 millions de km2). Celle de la Polynésie fait la surface de l’Europe. Unseenlabs propose une solution de surveillance prometteuse dont les performances s’affinent au gré des expérimentations et des usages. Grâce à elle, nous avons pu localiser un “client” et ainsi orienter nos effecteurs. Ce type de technologie spatiale est essentiel pour mener nos opérations. Elle permet de couvrir de larges zones, de prendre un coup d’avance pour agir en optimisant l’emploi de nos moyens qui sont comptés », analyse le CF Yann, chef de la conduite des opérations aéromaritimes (J3) de la zone Polynésie. Une illustration de l’espace comme vecteur de programmes innovants. Programmes que la Marine développe avec l’aide de ses marins experts comme de ses partenaires (industriels, start-up, Défense, chercheurs) pour rester une Marine de pointe agile et performante sur le temps court comme pour se préparer au retour du combat naval et aux prochains défis.
* À noter : contrairement aux systèmes américains, russes et chinois contrôlés par des autorités militaires, le GPS européen Galileo est géré par le civil.


Maîtriser davantage l'espace, connaissance, protection, résilience
Mieux maîtriser les différentes formes d’appui spatial dont peut bénéficier la Marine – et par extension l’espace – est indissociable de mieux voir, anticiper la menace, contrôler et agir ; pour être autonome et indépendant. Pour le capitaine de vaisseau (CV) Philippe, directeur du Centre de surveillance de la sécurité de Galileo : « Il est indispensable que les marins, dans les forces comme dans les états-majors, apprennent à utiliser l’espace, comprennent comment fonctionnent la mécanique et les capacités spatiales. Il est important de connaître leur fonctionnement, leurs limites et leur vulnérabilité ».
L’espace est de plus en plus encombré, ce qui pose la question des places en orbite disponibles et du risque de collision associé, de la préservation des places physiques et des fréquences. Or, c’est une condition d’accès stratégique à l’espace. Les nouvelles technologies constituent en effet des risques et menaces en constante augmentation. Les risques sont inhérents au milieu, aux éruptions solaires comme aux débris produits : le plus important étant celui de la collision. Quant aux menaces, elles tiennent autant aux capacités elles-mêmes, qu’aux usages et intentions d’usages militaires et civils dans un milieu peu réglementé et hostile : brouillage, voire piratage des communications satellite ou GPS ; illumination voire aveuglement au laser ; injection de données fausses ; suivi, interception et écoute ; capacité à désorbiter et déni d’accès et d’action. En 2018, la France a dénoncé l’approche et la surveillance du satellite militaire de télécoms franco- italien Athena-Fidus par le Luch-Olymp, un satellite russe.
Face à cela, il faut être capable de mettre en œuvre des réponses et des contre-mesures, d’agir et de décourager les actes inamicaux voire hostiles envers nos moyens maritimes et spatiaux : avoir des capteurs en orbite capables de faire de la détection, de la délivrance de brouillage, etc. Des missions dont le CDE est en charge. Pour la Marine, il s’agit d’effectuer des manœuvres de déception (faire croire que l’on effectue une manœuvre), de dilution (capacité à disparaître de la vue d’un adversaire) et de discrétion (moyens discrets, furtifs pour conduire des opérations sans être vus), ce qui est fondamental pour gagner du temps et réduire la capacité de détection.
Résilience et souveraineté
Côté capacités spatiales, la résilience par construction est une réalité, avec des systèmes comme Syracuse (Thalès Alenia) composés de plusieurs satellites. Mais pour le CV Pierre, chef de la division Relations internationales au CDE, il faut oser aller plus loin : « Nos satellites de communication géostationnaires sont puissants mais en très petit nombre, donc vulnérables. Nous devons réfléchir à des architectures distribuées et “résilientes” : des satellites individuellement moins performants, mais nombreux et connectés ». À ce titre, l’Union européenne vient de donner le coup d’envoi d’IRIS² (Infrastructure de résilience et d’inter- connexion sécurisée par satellite), une constellation de satellites qui seront placés sur différentes orbites pour sécuriser Internet et ses communications, tant sur le plan civil que militaire. « Après Galileo et Copernicus, c’est un vrai changement de vision », ajoute le CV Pierre. C’est aussi un enjeu de souveraineté et de surveillance de l’espace depuis l’espace face aux projets de développement des États-Unis ou de la Chine. Enfin, connaître la position, les mouvements, les capacités d’un adversaire peut être un outil de désescalade.
Améliorer et innover
Face à la dépendance aux données issues de l’espace, il faut donc avoir ses propres capacités pour garantir l’obtention des données spatiales et développer une coopération pour mieux surveiller, agir et opérer. Or, les supériorités technologique et opérationnelle sont interdépendantes. En ce sens, le quantique est annonciateur de transformations majeures, comme la possibilité de naviguer sans système de type GPS, de protéger et sécuriser les communications ou d’augmenter les performances des antennes. La supériorité opérationnelle, c’est aussi améliorer les capacités en matière de protection et d’armement : capacité à leurrer et à aveugler les satellites, crédibilité de la dissuasion via les performances des missiles balistiques, capacité à générer de l’incertitude dans un monde où l’environnement maritime est de plus en plus lisible.
Savoir faire sans
Les capacités spatiales comprennent en elles leur propre vulnérabilité et on ne peut les protéger contre tout type de menace. C’est pourquoi se préparer à l’inattendu, faire preuve d’audace et d’agilité, de confiance est essentiel. En l’occurrence : savoir faire avec des capacités spatiales réduites, dégradées voire coupées ou détruites en cas d’agression ou de conflit, par exemple, est vital. Le CV Philippe le confirme : « Nous devons savoir combattre avec et sans, garder de la rusticité dans nos capacités et nos compétences ». C’est pourquoi la Marine réalise des exercices et des entraînements sans recours temporaire à une ou plusieurs capacités spatiales. Le CF Pierre-Antoine, N3* adjoint à l’État-major opérations (EMO) de la Marine, ajoute : « Nous avons des savoir-faire à entretenir, comme naviguer à l’ancienne, aux étoiles, sans dépendre du positionnement par satellite. Derrière cette résilience, il y a surtout un état d’esprit, une capacité d’adaptation et d’inventivité des marins. Ce marin qui, dans son bâtiment ou son aéronef, reste le premier capteur. C’est d’ailleurs pour cette raison que, pour certaines missions, nous coupons toute connexion avec l’extérieur pour des raisons évidentes de sécurité et d’efficacité ».
Enfin, plusieurs États ont conduit des opérations de destruction de satellites, ce qui augmente la menace (Chine, Russie, Inde, États-Unis). La France s’est engagée à ne pas faire de tests d’armes antisatellites destructives, ce qui rend d’autant plus nécessaire d’améliorer la capacité de nos satellites à détecter l’environnement proche.
La marine : un soutien aux capacités spatiales
Si les capacités spatiales sont indispensables à la Marine et aux armées et servent à la surveillance sur l’eau, la Marine joue aussi un rôle dans la sécurisation et le suivi des capacités spatiales depuis la mer.
L’espace vu de la mer : le Monge
Twitter, le 7 septembre 2021 ‒ « La @Space_ Station se trouve à 400 km au-dessus de la surface de la mer. Les puissants radars du bâtiment d’essais et de mesures Monge ont réussi à l’observer ! » (Amiral Pierre Vandier). ‒ « On ne peut plus être tranquille 5 min sans être observé ahah, mais jusqu’où faut-il aller ? » (Thomas Pesquet). Remember ?
Deuxième plus grand bâtiment de la Marine nationale, le bâtiment d’essais et de mesures Monge (BEM) est un concentré de technologies de pointe qui dispose de radars et d’un laser parmi les plus puissants. Unique en Europe, il opère sur toutes les mers et c’est un atout majeur : on ne veille et mesure efficacement qu’en étant très bien positionné ! Une forme d’extension des moyens de surveillance de l’espace depuis la mer qui agrandit la zone de veille. Sa principale mission est de suivre la trajectoire de missiles balistiques stratégiques mer-sol des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et de participer à la validation technique des essais de tirs. Présent dans la zone d’impact qu’il sécurise, le BEM vérifie la partie finale du vol, le fonctionnement et la performance du missile dans sa phase de rentrée. « Le Monge est investi de missions stratégiques : il contribue en premier lieu très directement à la crédibilité de notre dissuasion lors des essais balistiques », rappelle le CV Gauthier, son commandant. Une mission particulièrement sensible qui nécessite de connaître les objets présents autour de sa trajectoire dans l’espace pour éviter une collision. Autre enjeu : le suivi d’objets spatiaux, de trajectoires dites « à risque » au point d’impact (satellite, étage de fusée...). Détecter, voire prévenir, une situation non conforme, déviation, retard, chute notamment, est un enjeu majeur. Des mesures qui peuvent être réalisées pour le CDE. « À ce titre, en 2021, nous avons suivi l’amarrage de la capsule Crew dragon (SpaceX) à la station spatiale internationale (ISS) et observé quelques semaines plus tard la Station, ajoute le CV Gauthier. Nous avons “visé” l’ISS avec un radar et “trajectographié” les débris spatiaux qui pouvaient être un danger pour elle. » À bord, les marins ont de nombreuses spécialités : « Les marins certifiés QUALBEM sont recherchés pour mettre en œuvre les moyens d’expertise du Monge. Des ingénieurs de la Direction générale de l’armement/DGA, autorité d’emploi, sont également présents à bord ».
Grâce au BEM, la Marine contribue à l’élaboration de la situation spatiale nationale. Présente sur toutes les mers, elle participe également à la protection du centre spatial guyanais et à la sécurité des capacités spatiales de lancement et des abords de Kourou (Guyane, photo ci-dessous).
* N3 : conduite des opérations.
Une nécessaire coopération, Marine & commandement de l’espace
Dès 2013, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale présente l’espace comme un enjeu stratégique pour l’autonomie et le soutien aux opérations : « Dans le domaine militaire, le libre accès et l’utilisation de l’espace sont des conditions de notre autonomie stratégique. Ils rendent possible le maintien et le développement de capacités technologiques dont dépendent la qualité de notre outil de défense et, en particulier, la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. » Une posture permanente à la mer depuis plus de 50 ans.
Le Commandement de l’Espace
Le discours du président de la République du 13 juillet 2018 précède l’adoption d’une stratégie spatiale de la défense (juillet 2019) puis la création du Commandement de l’Espace (CDE) le 3 septembre de la même année. Deux ans plus tard, le programme spatial européen 2021-2027 voit le jour. Quatre lignes directrices structurent la stratégie spatiale de défense dont le CDE est tête de pont : l’appui spatial aux opérations des armées, le soutien aux capacités spatiales, la connaissance de la situation spatiale, l’action dans l’espace. Des conditions sine qua non de liberté d’accès et d’action dans et depuis l’espace, et donc d’autonomie stratégique.
Commandement militaire de l’armée de l’Air et de l’Espace et organisme à vocation interarmées, le CDE est composé de 350 membres des trois armées, ainsi que de la DGA et du commissariat des armées ; 470 à l’horizon 2025. Il s’est construit historiquement à partir du Commandement interarmées de l’Espace et d’unités de l’armée de l’Air et de l’Espace telles que le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) et le Centre militaire d’observation par satellites (CMOS). Aujourd’hui, si les satellites militaires sont majoritairement opérés par le CNES (Centre national d’études spatiales). Les opérateurs du CDE seront à terme capables de piloter ces satellites lorsque la situation l’exigera. Les opérateurs des charges utiles (ce qui permet de remplir une mission) sont la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI). Les missions du CDE ? Mettre en œuvre la politique spatiale des armées (stratégie, coopération, capacités) ; coordonner les moyens dédiés ; conduire les opérations spatiales militaires (autorités : chef d’état-major des armées/CEMA et Centre de planification et de conduite des opérations/CPCO) et, sous la responsabilité du CEMAAE, la génération d’expertise et la préparation des forces.
Des marins au CDE, Des expertises reconnues
La nécessaire interopérabilité va requérir un interfaçage très fort avec le CDE. L’espace est devenu un lieu d’opération. Un milieu que la Marine utilise historiquement (navigation astronomique), depuis plusieurs dizaines d’années à des fins de surveillance et de renseignement, pour l’action de l’État en mer et les opérations navales, et via ses missiles balistiques stratégiques mer-sol. Plusieurs marins sont affectés à la dimension capacitaire du CDE et s’occupent des capacités spatiales futures, ce qui exige des expertises pointues.
Le CF Yannick est officier de programme OMEGA, un programme de modernisation des GNSS (géolocalisation et navigation par un système de satellites) qui doit profiter à toutes les armées. Pour lui, « la Marine a une expertise des systèmes de guerre électronique et des satellites de télécommunication. Elle est très concernée par les affaires d’appui spatial aux opérations aéronavales, des besoins et des contraintes inhérentes à ce milieu ». Des compétences reconnues en interarmées. Le lieutenant de vaisseau (LV) Vivien, adjoint à l’officier de programme SYRACUSE, complète : « On dit souvent de l’officier SIC1 qu’il est l’oreille du commandant car les transmissions et le positionnement sont essentiels à la conduite des opérations ».
Les expertises se confortent et s’acquièrent. Le LV Vivien a suivi une formation complémentaire de haut niveau scientifique en satellites de communication. Des formations aussi nécessaires qu’indispensables pour répondre aux besoins présents et futurs et renforcer les compétences. Le CF Yannick argumente : « Après avoir baigné dans les opérations, j’ai voulu faire du programme opérationnel pour me projeter sur du temps long, dans un milieu complexe et innovant. Cela suppose une réelle remise à niveau intellectuelle et technique. C’est un vrai challenge. Évoluer en interarmées contribue à apprendre et à répondre aux besoins des forces avec un regard différent et plus ouvert. De plus, travailler sur des programmes liés à l’espace prend très vite une dimension internationale car nous sommes de fait connectés ».
La Marine, comme les autres armées, a toute sa place au CDE et plus largement dans l’espace. Bénéficier du soutien de l’espace en tout temps et en tout lieu est un enjeu pour tous. Il en va de même pour la mutualisation des ressources. C’est d’autant plus essentiel que la Marine est présente et opère partout, tandis que les satellites ne couvrent pas l’ensemble de la planète (pôles, par exemple). Elle est aussi l’armée qui utilise le plus de moyens spatiaux, et doit savoir où regarder avec ses capteurs et comment optimiser leurs usages. En matière d’exploration et d’innovation, elle peut apporter ses connaissances du milieu et ses compétences, et les mettre en perspective. Définir et exprimer les besoins en fonction de ses spécificités et problématiques propres. Elle doit s’assurer qu’ils sont pris en compte, apporter sa voix et peser dans les décisions. L’enjeu est d’établir une relation durable entre la Marine, le CDE et le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). D’avoir une capacité nouvelle et autonome. D’ouvrir le champ des possibles avec une réflexion sur la distribution des responsabilités.
Penser interalliés et coopération : un principe fondamental
Le CDE agit en collaboration avec la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) pour élaborer la politique spatiale de la France. Il participe également à la mise en œuvre de coopérations internationales et multilatérales. Aujourd’hui, la perspective de combats multimilieux et multichamps (domaine d’action) exige de repenser et de changer les modes d’action, d’augmenter aussi les interconnexions entre les centres opérationnels et de commandement jusqu’au niveau spatial. Par exemple, « le Command control communication and computing (C4OS) sera le cœur de réception de toutes les informations concernant la situation spatiale, celles essentielles à la prise de décision et au combat comprises », précise le CF Alexis.
En 2020, aux côtés de six autres nations2, la France a adhéré à l’initiative Opérations spatiales interalliées CSpO (combined space operations). Une préparation ambitieuse à une meilleure coordination et interopérabilité des réponses dans l’espace en matière de défense. Le 18 janvier 2023, un mémorandum d’entente dit « opérationnel » a été signé : à l’horizon 2025, la France va en effet abriter le prochain Centre d’excellence de l’OTAN pour l’espace (NATO Space centre of excellence), international et interarmées, avec les commandements de l’Espace (CDE) et de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), et le Centre national d’études spatiales (CNES). Objectif : renforcer les compétences spatiales européennes dans le domaine des opérations militaires menées.
Depuis 2021, l’exercice militaire spatial AsterX a pour but de se préparer face aux nouvelles menaces, d’évaluer les capacités de protection de ses satellites et de surveillance, entre autres. Mer et espace sont de nouveaux territoires de puissance, de contestation, de compétition, de friction. Avoir la bonne information au bon endroit au bon moment, raccourcir les boucles du renseignement pour visualiser une situation, transmettre dans des temps contraints et sécurisés est fondamental face à des menaces de plus en plus rapides. Mais pour continuer à utiliser les espaces communs de façon durable, en garantir un usage pacifique et favoriser des comportements responsables, le respect, l’évolution, voire la redéfinition juridique, sont aussi urgents que complexes.
Virginie de Galzain
1. Systèmes d’information et de communication.
2. L’alliance de surveillance five eyes, formée après la Seconde Guerre mondiale : Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle Zélande, Royaume-Uni, plus l’Allemagne.


Droit de la mer & droit de l'espace
Des cadres juridiques en question
Présentée par le président de la République Emmanuel Macron, la Revue nationale stratégique 2022 rappelle que « les intérêts de la France recouvrent tous les facteurs qui concourent à sa sécurité, à sa prospérité et à son influence. Il convient d’y distinguer en particulier la liberté d’accès aux espaces communs (cyber, spatial, fonds marins et espaces aéromaritimes, pôles), désormais contestée par la remise en question du système international fondé sur le droit et l’affirmation de logiques de puissance ». Des milieux où les enjeux juridiques vont croissant.
En 1982, après dix années de débats, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) est signée à Montego Bay. En codifiant nombre de règles coutumières préexistantes, elle représente l’aboutissement du développement séculaire du droit de la mer depuis le XVIe siècle. Ratifiée à ce jour par 167 États, la CNUDM impose un cadre juri[1]dique quasi universel pour l’utilisation de la mer et le partage de ses ressources.
Droit de la mer, des enjeux maritimes en évolution
Les États côtiers disposent d’espaces maritimes sous souveraineté (mer territoriale) et juridiction (zone économique exclusive ou ZEE) au large de leurs côtes. Ils peuvent exploiter toutes les ressources dans leurs ZEE, dont halieutiques. Plus de 40 ans plus tard, les mers et les océans, les fonds marins sont au cœur d’enjeux de puissance et de nouvelles conflictualités. De l’Indopacifique à la Méditerranée, un impressionnant réarmement naval continue de s’opérer. « La mer n’est plus un sanctuaire d’où nous pouvons librement organiser nos opérations. Cette période-là est révolue* », prévient le CV Yann, chef du bureau Stratégie et Politique au cabinet du chef d’état-major de la Marine. Ce phénomène inédit est le corollaire d’une logique de compétition pour les espaces communs, dont le milieu maritime.
Sur les océans et les mers, aucune frontière n’existe. Les marines de guerre s’observent et se mesurent, notamment en haute mer où la liberté de navigation codifiée par la CNUDM s’applique. Toutefois, la liberté d’action des navires militaires et commerciaux est confrontée à des réalités que le droit international ne contrôle pas ou peu. De façon dématérialisée notamment : « Des hackers sont aujourd’hui en capacité d’annihiler le fonctionnement des ordinateurs de bord d’un bateau et donc sa capacité de libre circulation », énonce Jean-Paul Pancracio, professeur de droit public. Les fonds marins sont aussi devenus un espace de conflictualité : « En sectionnant un certain nombre de câbles sous-marins à fibres optiques, vous pouvez mettre en veille l’économie mondiale », poursuit-il. Des pans oubliés du droit de la mer, telle que la Convention de Paris de 1884 sur la protection des câbles sous-marins, pourraient ainsi trouver une nouvelle actualité.
Responsabilité et durabilité
La Convention de Montego Bay demeure un des meilleurs outils de droit international de la mer. Mais au regard des nombreux défis actuels et à venir, l’adaptation du droit de ce milieu se poursuit. À ce titre, le 4 mars 2023, les États membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sont parvenus à un accord historique sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer (processus Biodiversity beyond National Jurisdiction ou BBNJ). Objectif : renforcer la gouvernance dans cet espace maritime afin de mieux protéger et préserver la biodiversité marine. En outre, la communauté internationale agit pour préserver les fonds marins internationaux, patrimoine commun de l’humanité. « L’Autorité internationale des fonds marins (constituée auprès de l’ONU, NDLR) n’octroie, à ce jour, que des licences de prospection et d’exploration afin de préserver les écosystèmes », précise Jean-Paul Pancracio. Depuis novembre 2022, la France soutient l’interdiction de toute exploitation des fonds marins. Face aux nombreuses volontés d’appropriation de la haute mer, l’ambition de compléter, et non remplacer, la CNUDM de 1982 permettra de renforcer le cadre juridique existant.
Droit de l'espace, le new space rebat les cartes
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’espace devient de son côté un élément clé de la compétition idéologique, militaire et stratégique soviéto-américaine. En 1967, le Traité de l’espace énonce les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il rappelle que cet espace est un bien commun, appartenant à tous, dont l’utilisation doit être pacifique. Par ailleurs, il stipule l’interdiction de mettre en orbite tout type d’armes de destruction massive (nucléaire, chimique, biologique). En revanche, rien n’interdit d’utiliser l’espace à des fins militaires sur Terre ou dans l’espace. Signe des temps, le développement d’activités commerciales par des acteurs privés a ouvert une nouvelle ère : celle du New Space. « Le spatial est aussi une zone grise. Hormis le Traité de l’espace de 1967, le droit international est très libéral. Les activités militaires et civiles y sont le plus souvent indissociables, ce qui rend l’espace propice aux actions hybrides. Savoir ce qui s’y passe est essentiel. Il n’y a pas de ZEE, pas de code de la route. Quid si deux satellites sont sur le point d’entrer en collision ? Il y a urgence à établir des règles et des normes de comportement qui fixeront la référence à laquelle tous les acteurs devront se conformer », précise le CV Pierre.
Dans une interview publiée le 5 août 2022 sur une chaîne YouTube américaine (16 millions de vues en février 2023), le patron de SpaceX, Elon Musk, explique Starlink : « C’est un programme d’Internet spatial. Nous avons une constellation de plus de 2000 satellites qui augmentera à plus de 4000 prochainement. Nous aurons plus de satellites en activité que le reste des acteurs à l’échelle mondiale combinés ». La dualité civilo-militaire a des impacts sur la conduite des opérations militaires : « L’utilisateur militaire va trouver une partie des réponses à ses questions à travers les nouvelles infrastructures déployées par les acteurs privés », confie Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.
La sécurité mondiale en question
Un des points de vigilance est la saturation de l’orbite terrestre par ces dizaines de milliers de satellites prévus d’être envoyés à moyen terme. Face à ces craintes, l’Agence spatiale européenne (ESA) a lancé en 2009 le programme Clean Space visant à lutter contre la hausse des débris spatiaux et à réduire l’impact environnemental des missions spatiales. Ainsi, la start-up ClearSpace devrait réaliser le premier enlèvement au monde d’un débris spatial. Mise en œuvre prévue à l’horizon 2026. Dans l’espace, l’interdépendance est le maître mot. Un satellite détruit, et c’est l’ensemble des objets en orbite qui est menacé. Ainsi, « l’un des grands enjeux de la diplomatie spatiale des années à venir est de réfléchir à comment allier le développement des différents programmes de défense nationale avec une certaine transparence pour permettre de sécuriser collectivement l’activité orbitale », analyse Xavier Pasco. À ce titre, fin 2022, la France s’est formellement engagée à ne pas conduire d’essais de missiles antisatellites destructifs à ascension directe depuis la Terre. Les tests effectués par les nations dotées d’une telle capacité (États-Unis, Chine, Inde et Russie) se sont avérés extrêmement dangereux.
Les normes établies en 1967 ne répondent plus suffisamment aux enjeux spatiaux actuels. Les grands principes restent mais les règles évoluent. C’est pourquoi, via une résolution des Nations Unies, des travaux rassemblant toutes les puissances spatiales sont menés pour l’adoption de comportements respon[1]sables dans l’espace. Et ce, d’autant plus que les sociétés sont de plus en plus dépendantes d’un théâtre de contestations et de compétitions. « Des menaces et des attitudes irresponsables peuvent avoir un impact conséquent sur Terre », alertait la délégation de l’ONU à Genève le 13 septembre 2022. Les États doivent rester garants d’une utilisation pacifique et sécurisée des espaces communs. Un enjeu de sécurité nationale et internationale.
ASP MAXENCE LIDDIARD
* Source : podcast Périscope du 02/02/2023, centre d’études stratégiques de la Marine.

