L’Indian Navy : puissance et dilemmes
Publié le 03/05/2021
L’Inde est un acteur maritime incontournable. Face aux nombreux défis qu’elle doit relever, elle cherche à nouer des partenariats à la fois avec les nations occidentales et les nations riveraines de l’océan Indien ; au premier rang desquelles se trouve la France, qui se classe dans les deux à la fois. En 2006, l’Inde dévoile une nouvelle stratégie maritime et annonce vouloir disposer en 2030 de 200 unités de surface et sous-marins, pour permettre à l’Indian Navy de couvrir l’ensemble des opérations maritimes, de la patrouille à la guerre conventionnelle, tout en disposant d’une dissuasion nucléaire. Dotée du Viraat (désarmé en 2017), elle acquiert l’ancien porte-avions russe Gorshkov livré en 2013 et rebaptisé Vikramaditya. Simultanément, l’Inde lance un programme national de porte-avions et le Vikrant est mis sur cale en février 2009 à Cochin. Autre projet phare lancé en 1999 : New Delhi décide la construction de 24 sous-marins d’attaque d’ici 2030, dont 6 via le projet Kalvari/Scorpène mené avec la France. Après une première unité opérationnelle en décembre 2017, la troisième a été officiellement admise au service actif le 10 mars 2021. Pour améliorer sa connaissance de l’océan qui l’entoure et contrôler ses approches où opèrent quotidiennement 300 000 navires de pêche, l’Inde doit disposer, en temps réel, d’une image claire de la situation maritime. Depuis 2014, l’Information management and analysis center collecte et fusionne les informations maritimes disponibles. À cette structure nationale est accolée une structure régionale et internationale, créée en décembre 2018, l’IFC-IOR, au sein de laquelle un officier français est inséré depuis décembre 2019. Pour accroître le volume d’informations disponibles, un réseau de radars est disposé le long des côtes indiennes mais aussi dans certains États partenaires de la région, lui permettant ainsi de renforcer son influence.

Une diplomatie active pour déborder du continent
L’Inde dispose d’îles stratégiquement situées dans l’océan Indien, comme Andaman-et-Nicobar, à 60 nautiques du détroit de Malacca, ou l’archipel du Lakshadweep à 220 nautiques à l’ouest de Cochin. Par ailleurs, New Delhi a noué des liens privilégiés avec de nombreux États de l’océan Indien, notamment insulaires (Seychelles, Maurice, Maldives...). Ces derniers bénéficient d’une attention particulière ainsi que de dons de matériels militaires (avions, patrouilleurs). Si le projet de construction d’une base navale sur l’île seychelloise d’Assomption est au point mort, l’Inde participe depuis 2015 au développement de l’île mauricienne d’Agaléga, en renforçant ses infrastructures portuaires et aéroportuaires. Ces travaux, confiés à une entreprise indienne, sont pressentis pour offrir un accès privilégié à l’Indian Navy.
Au-delà de la politique menée auprès des États de l’océan Indien, l’Inde s’est rapprochée de l’ensemble des États présents dans la zone, notamment occidentaux, autour des valeurs communes : démocratie, respect du droit international et de la liberté de navigation. En 2018, elle signe ainsi avec la France un accord logistique facilitant l’accès de l’Indian Navy aux installations militaires de La Réunion et de Djibouti. Dans une région dépourvue de mécanisme permanent de sécurité maritime, New Delhi lance en 2008 l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS) et la marine indienne participe à de nombreux exercices de haut niveau avec les principales marines mondiales : Varuna avec la France, Malabar au sein du QUAD (États-Unis, Japon, Australie), Konkan avec la Royal Navy...
La marine indienne : les dilemmes de la puissance
Ces réels succès ne doivent pas occulter une réalité plus complexe. Les ambitieux objectifs fixés il y a quinze ans ne devraient être atteints qu’à 60 % en raison notamment des difficultés que ceux-ci représentent pour son industrie qui bénéficie toutefois systématiquement de transferts de savoir-faire négociés. Simultanément, Pékin a réalisé une spectaculaire percée maritime en mêlant le projet commercial des nouvelles routes de la soie à une importante construction navale militaire. Le réseau chinois de ports et terminaux en océan Indien est souvent comparé à un « collier de perles ». Ressentant cette pression nouvelle, New Delhi doit gérer simultanément plusieurs dilemmes.
État continental, l’Inde doit répondre à des besoins en développement considérables. L’effort en faveur de la Marine, qui ne saurait se faire au détriment des autres armées, ne pourra être maintenu que s’il contribue à la croissance nationale. Or, si le programme gouvernemental Make in India permet de développer une base industrielle et technologique de défense, il est peu compatible avec un schéma rapide d’équipement. Autre dilemme, bien que l’Inde craigne que le « collier de perles » chinois ne l’étrangle, elle ne souhaite pas remettre en cause l’équilibre fragile de ses relations politiques (frontières avec le Tibet) et économiques avec Pékin. En surgit un autre dilemme : fidèle au non-alignement, l’Inde a toujours été frileuse face aux alliances, privilégiant des partenariats informels ou les relations bilatérales.
Une relation stratégique privilégiée avec la France
La France, qui va prendre la tête de l’IONS en 2021, entretient avec l’Inde une relation stratégique de confiance. Au-delà des échanges commerciaux, les deux pays partagent le même océan, où résident plus d’un million de Français, et disposent d’une longue tradition humanitaire et culturelle. Pour New Delhi, l’importance accordée par Paris à ses collectivitées d’outre-mer, les investissements qu’elle y réalise et leurs structures politiques décentralisées font de la France un État de l’océan Indien à part entière. La France dispose donc de nombreuses cartes politiques et capacitaires pour, via son action bilatérale ou multilatérale dans la zone, porter une présidence d’IONS qui contribue à la stabilité de la région.