Les métiers de la DATA : paroles de marins
Publié le 02/02/2024
La numérisation croissante de la société et l’avènement d’une Marine « donnée-centrée » font émerger de nouvelles spécialités. Chaque secteur est concerné, des systèmes d’information et de communication aux systèmes d’armes en passant par la navigation, la mécanique, l’électronique, la lutte au-dessus de la surface, la santé et la restauration... Véritable changement de paradigme, la transformation numérique de la Marine bouleverse tous les métiers en les orientant data. Voici quelques exemples de fonctions nées de cette nouvelle ère « donnée-centrée ».

Gouvernance data (EMM)
• CF Olivier
« Je suis chief data officer au bureau numérique de l’état-major de la Marine. Je m’occupe de la mise en œuvre de la politique de la donnée Marine. Cela consiste à mettre au point une gouvernance par le biais d’une organisation et de moyens permettant de mieux gérer la donnée au sein de la Marine sans avoir à subir son « évaporation ». Le point de départ est la connaissance du patrimoine informationnel de la Marine, c’est-à-dire l’identification et la caractérisation des données et des systèmes sources dont elles sont issues afin d’établir une cartographie permettant de capitaliser pour différentes utilisations ultérieures possibles (traitements, valorisation, algorithmes d’IA). En parallèle je travaille sur les problématiques de partage des données avec nos partenaires étatiques et industriels car la Marine a l’ambition de se positionner comme un tiers de confiance permettant de garantir le respect de la propriété industrielle pour les uns et la non-divulgation d’informations sensibles pour les autres. »
Architecte infrastructure cloud (CSDIA-M)
• CF Adrien
« Je suis en charge du pôle infrastructure data-center au centre de services de la donnée et de l’intelligence artificielle de la Marine (CSDIA-M). Notre mission est de concevoir, déployer et opérer des infrastructures de calcul IA avancé et de stockage hautes performances à terre (Toulon, Brest) et à bord des unités de la Marine (les DHE – data hub embarqués). Ces infrastructures hébergent de nouvelles applications et algorithmes de machine learning pour tirer de la valeur des données générées – à terme – par l’ensemble des systèmes et équipements des unités de la Marine. Après un premier démonstrateur de data hub embarqué sur la FREMM Provence, notre équipe étendra les déploiements à plusieurs unités du GAN. Les applications phares aujourd’hui disponibles sont Léviathan (affichage d’une situation tactique multi-couches, rejeu tactique…) et ColbertGPT Secret-SF basé sur une IA générative. »
Officier data (ALFOST)
• CC Céline
« Ce métier est tout nouveau. Je dois définir la stratégie autour de la donnée pour les forces sous-marines. Pour cela, je dois définir un cadre : comment collecter, traiter, partager et valoriser nos données, en prenant en compte les spécificités de cet environnement atypique. La difficulté réside dans la maîtrise de ce qui est partagé et à qui, au regard de la sensibilité de nos opérations, ou des sujets touchant à la dissuasion. La valorisation de la donnée passe par le croisement et donc la mise en commun de toutes ces données, ce qui est rendu possible via la mise en place de datacenters, à terre et à bord des sous-marins. L’objectif final est de développer et mettre en œuvre des cas d’usages qui répondent aux enjeux stratégiques de la FOST. Il y a enfin tout le volet conduite du changement à traîter, qui passe en premier lieu par une acculturation des unités à ce nouvel enjeu de la donnée, aux nouvelles technologies qu’il y a derrière (IA, Big Data), aux nouveaux outils et aux nouvelles façons de travailler. »

Directeur local de la donnée (CECMED)
• LV Guillemette
« J’inaugure un poste dans le domaine de la data au sein du centre des opérations de la Méditerranée (CENTOPS MED). Mon rôle est d’abord de dresser une cartographie de la donnée traitée au CENTOPS : quand, comment et par qui la donnée est- elle collectée ? Par quels flux est-elle partagée ? Comment est-elle stockée et valorisée ? Avant la transformation numérique, et la mise en place du projet SIGNAL (lire aussi page 19), la collecte de données se résumait à des tableaux Excel et des Power Point : fastidieux et peu précieux. Je dois également mettre en place des applications data-centrées qui font gagner du temps aux marins dans leur travail quotidien. Le DHE et l’environnement LEVIATHAN sont prometteurs et nous attendons beaucoup du CSDIA-M. »
Data scientist (CRGE)
• EV 1 Hugo
« J’ai pour objectif de valoriser la donnée. Au sein du centre de renseignement et guerre électronique (CRGE), j’aide à la transformation numérique de l’unité en répondant aux besoins des analystes. Automatiser des processus et fournir des outils aux analystes du renseignement leur permettent d’analyser et d’accéder à un flux de données plus important. Étant affecté sur place, je peux communiquer directement avec eux. C’est un vrai plus, car cela permet de bien comprendre les besoins et d’y répondre de manière opérationnelle. Je fournis des services et des produits, allant du stockage à l’analyse de la donnée via différents algorithmes jusqu’à la mise à disposition de cette dernière. Par exemple, déterminer la densité de trafic maritime dans des zones d’intérêt à l’aide d’un algorithme qui générera des cartes de trafic maritime. »
Data analyst (CSDIA-M)
• MP Fabrice
« Après vingt-cinq ans embarqués dans la Marine, j’ai rejoint le CSDIA-M à Toulon comme data analyst. Mon expérience en tant qu’électronicien d’armes et mon intérêt pour la data faisaient écho aux besoins du CSDIA-M. À bord, je réalisais déjà la collecte manuelle de données sur les tirs, les radars, etc. La transition de l’expertise système au rôle de data analyst a nécessité un investissement conséquent, notamment dans l’apprentissage autodidacte du développement logiciel. Mon expérience me guide pour répondre aux cas d’usage et identifier les points irritants du quotidien des marins. En tant que data analyst, je génère des rapports essentiels pour la prise de décision à bord, en enregistrant, nettoyant et analysant les données. Mon conseil aux futurs data analysts ? Concrétisez des projets personnels, comme celui que j’ai réalisé : un système domotique connecté et intelligent, gérant de manière efficiente l’éclairage, le chauffage et la climatisation de mon domicile. Il est essentiel de se maintenir à jour face à la rapidité des évolutions numériques. Cette deuxième carrière me satisfait énormément. »
Développeur big data (ALAVIA)
• ASP Nicolas
« L’objectif est de faire gagner du temps et de l’efficacité aux usagers. Au bureau Infocentre nous éditons des rapports pour le personnel d’Alavia à partir des données de leurs systèmes d’information. Grâce aux données récupérées, et avec des algorithmes développés par le bureau et certains logiciels, nous pouvons transmettre aux utilisateurs des indicateurs clairs et simples. Nous les organisons de manière logique pour pouvoir les intégrer à leurs applications de manière automatique. Nous évitons un travail de manipulations de données, de parfois plusieurs jours par mois, à de nombreux marins. Ainsi nous facilitons leur travail opérationnel, de maintenance, logistique, en leur fournissant un outil clé en main disponible tout le temps. »
Data owner (DPM)
• MJR Christophe
« Au bureau politique des ressources humaines (PRH), je crée des représentations graphiques ou des tableurs, à partir des données de l’outil RH « Rh@psodie », pour l’aide à la décision de mes supérieurs grâce à la donnée. Je vais ainsi pouvoir mettre en avant les départs, les arrivées, les différents brevets, le nombre de personnel officiers et non officiers, les spécialités ou encore le taux de mixité dans la Marine. J’utilise un outil de data visualisation : « Qlik ». C’est intéressant de mettre en pratique toute ma connaissance de la marine (brevets, spécialités, bâtiments), issue d’une grande expérience, en manipulant des nouveaux outils comme Qlik, que j’ai appris à utiliser seul au départ. En prenant l’exemple de la mixité, je peux suivre une courbe évolutive pour vérifier si nous allons atteindre les objectifs fixés pour 2030. »
Data miner (ALFAN/GTR)
• MP Olivier
« La mission du Groupe de transformation et de renfort (GTR) à Toulon est de renforcer et d’aider les équipages des frégates multi-missions. D’un point de vue SIC, ce support prend la forme d’une aide technique en tant qu’expert de mon domaine (informatique et réseau), ou bien d’une aide pratique dans le cas d’échanges de données avec l’équipage. Dernièrement, je me suis rendu sur la FREMM DA Lorraine, qui était à quai, accompagné du data steward du centre d’expertise des programmes navals pour récupérer des données en provenance des senseurs du navire. Quand le bateau est en mer, on m’envoie les données via un transfert ftp (File Transfer Protocol). Une fois ces données récupérées, je les transfère à terre en vue d’en extraire des informations utiles. »
Data steward (CSDIA-M)
• TSEF Cédric
« Comme dans un avion de ligne, si un client a besoin d’un service, le steward est là pour le lui apporter. Dans la Marine, le client, étatique ou industriel, va demander de la donnée technique issue de divers matériels présents à bord des navires. Ces demandes ont généralement pour objet des maintenances correctives suite à des incidents mineurs ou majeurs signalés par les bords. Je réceptionne la demande, je vérifie sa conformité et je collecte la donnée à bord de l’unité concernée. À partir de ce moment-là, je blanchis les données opérationnelles pour les partager au client. Cependant, les données issues des senseurs ont bien souvent un format propriétaire, c’est-à-dire que personne ne peut les lire mis à part l’industriel. Je vais donc convertir cette donnée en un format lisible et compréhensible par tous : les data-products. Seules les données répondant aux besoins des industriels sont transmises. »
Chef de service SIC (FREMM Provence dotée du premier DHE)
• LV William
« Les spécialistes des systèmes d’information et de communication (SIC) gèrent l’ensemble des communications internes et externes d’un bâtiment de la Marine et sont directement concernés par la révolution du traitement de la data. à bord de la FREMM, c’est le chef de secteur réseaux qui administre et gère les principaux flux de données, en soutien des autres chefs de secteur qui restent les experts de leurs domaines et des données produites par le système de combat, leurs senseurs et leurs systèmes d’armes. Grâce au DHE, la FREMM Provence innove en développant les premiers cas d’usages d’applications opérationnelles, en coordination étroite avec le CSDIA-M, le FAN L@B et les industriels. Ces nouvelles capacités devraient permettre aux marins de l’équipage d’obtenir rapidement des gains significatifs d’efficacité opérationnelle et de facilitation de leurs tâches opérationnelles et administratives. Les premiers résultats sont déjà très positifs avec, par exemple l’intégration à bord de Colbert GPT, l’équivalent Marine de ChatGPT, qui fournit un soutien précieux à l’équipage. »
Officier cyber sécurité (ALFOST)
• LV Florian
« C’est vraiment un poste passionnant, car on passe sans cesse d’un sujet à l’autre : de la sécurité des systèmes d’information à l’appui aux unités jusqu’à la mise en place des outils nécessaires en cas de crise. Il m’arrive même d’explorer les entrailles des systèmes fournis par les industriels afin de vérifier qu’ils sont correctement sécurisés. Je participe aussi à l’élaboration de la vision stratégique cyber de la force. Je suis impliqué dans tous les projets, qu’ils traitent du nucléaire, de la mécanique ou de l’infrastructure car la cyber est aujourd’hui transverse. La plus grande difficulté dans ce métier, c’est de rester dans le coup. C’est un domaine qui évolue sans cesse, il faut se tenir en permanence au courant des nouvelles technologies, des nouvelles attaques, des nouveaux moyens de s’en défendre. Effectuer une veille technologique et suivre des cours de remise à niveaux est indispensable. »