L'épopée du Casabianca

Publié le 01/08/2023

Auteur : La rédaction

Célèbre pour s’être échappé de Toulon lors du sabordage de la flotte le 27 novembre 1942, le sous-marin Casabianca, commandé par le capitaine de frégate Jean L’Herminier, a été l’un des artisans de la libération de la Corse. Fer de lance de l’opération Pearl Harbour, il a effectué sept missions clandestines entre l’île de Beauté et l’état-major français basé à Alger, avant de rallier le premier le port d’Ajaccio, le 13 septembre 1943.

Contre-torpilleurs Le Fantasque et Le Terrible

Le kiosque d’acier du sous-marin Casa­bianca, installé sur la place Saint-Nicolas à Bastia, n’est plus le même que celui à bord duquel du capitaine de frégate Jean L’Herminier observait de nuit les côtes de l’île de Beauté. Rongé par la rouille, l’original a été reconstitué à l’identique et inauguré en 2004 en face du port de commerce. Mais pour rien au monde les Bastiais n’auraient renoncé à ce monument qui leur rappelle les prémices de l’opération Vésuve, dont l’issue victorieuse, entre le 8 septembre et le 4 octobre 1943, a permis à la Corse de devenir le premier département de France métropolitaine libéré. Décidée par le général Henri Giraud, l’opé­ration Vésuve est l’aboutissement d’un long processus commencé des mois plus tôt à Alger avec, entre autres, l’opération clandestine Pearl Harbour.

Coordonnée par les services spéciaux de la défense nationale installés en Algérie, passée sous contrôle allié depuis l’opération Torch (du 8 au 16 novembre 1942), Pearl Harbour doit préparer le débarquement en Corse des troupes françaises. Mais cette mission se déroule dans un contexte tendu. Entre le général de Gaulle, qui entretient des relations plutôt froides avec le président américain Franklin Roosevelt, et le général Giraud, le chef de l’armée d’Afrique, qui bénéficie alors du soutien des États-Unis, la défiance règne. Et Giraud, qui ne reconnaît aucune autorité à de Gaulle, le tient dans l’ignorance de ses projets pour la Corse. Un choix qui, en repré­sailles, le privera progressivement de toute responsabilité, politique puis militaire, au sein des forces alliées.

L’HOMME DE LA SITUATION

En attendant, pour réussir, l’opération Pearl Harbour a besoin d’un sous-marin, qui reste le meilleur moyen pour acheminer clandesti­nement en Corse des agents chargés de faire du renseignement, d’unifier la Résistance et de préparer une future insurrection. Le capitaine de frégate Jean L’Herminier sera l’homme de la situation.

Issu d’une famille de marins, il est entré en 1921 à l’École navale à l’issue de laquelle il choisit les sous-marins. Grièvement blessé en 1932 lors de l’explosion des moteurs du Persée où il est officier en second, il commande ensuite L’Orphée en 1934 puis, deux ans plus tard, le Morse. Officier de manoeuvre du croi­seur Montcalm, Jean L’Herminier participe à l’évacuation de Namsos, en Norvège, en mai 1940. Mais il reste loyal au gouvernement de Pétain après l’armistice. Engagé dans la défense de Dakar contre les Britanniques et les Français libres de l’opération Menace, il quitte les forces de surface en novembre 1940 pour prendre le commandement du Sidi-Ferruch, rattaché au groupe des sous-marins du Maroc. Souffrant en janvier 1942, il rejoint le Casa­bianca, un sous-marin de première classe, du type « 1 500 tonnes », entré en service en 1936. À son bord, Jean L’Herminier est à Toulon lorsque les Allemands entrent dans le port le 27 novembre 1942. Alors que la flotte se saborde, il décide d’appareiller. Mais il hésite entre couler son bateau en eau profonde ou rejoindre les alliés pour continuer la guerre. Après concertation avec ses officiers et son équipage, il décide de rejoindre Alger où il fait une entrée triomphale le 30 novembre 1942.

Reçu dans le secret absolu par le colonel Ronin, le chef des services spéciaux, Jean L’Herminier accepte immédiatement de se mettre à la disposition de l’état-major français. Pearl Harbour vient de trouver son sous-marin. Le 11 décembre 1943 à 19h30, le Casa appareille du port d’Alger avec les quatre premiers agents de l’opération : Toussaint et Pierre Griffi, Laurent Preziosi et leur chef de mission Roger de Saule. La nuit, il navigue en surface et le jour en plongée. Le 13 décembre il est en approche de la crique de Topiti, entre Piana et Cargèse. Après avoir fait surface deux fois entre le 13 et le 15 décembre, les agents sont débarqués et établissent les premiers contacts avec la Résistance.

MISSIONS CLANDESTINES

Pour sa deuxième mission, le Casabianca arrive de nuit près de Piana le 5 février et se pose sur le fond près de Capo Rosso. Puis il prend position plus au sud, dans la baie d’Arone, où il doit déposer Michel Bozzi et Chopitel, deux opérateurs radios avec leurs postes, qui viennent renforcer la mission, ainsi que des armes et des munitions. Mais le débarquement par mer forte ne se passe pas comme prévu et doit s’effectuer en plusieurs fois. Au cours d’une manœuvre le bateau talonne et endommage son gouvernail qui doit être réparé à Alger. Mais l’opération est un succès.

Le 10 mars 1943, à Favone, Jean L’Herminier et ses hommes sont de retour en Corse où ils sont attendus par des représentants de la Résistance. Deux agents de la mission Pearl Harbour, Laurent Preziosi et Toussaint Griffi, réembarquent avec cinq marins du Casabianca restés à terre lors des deux précédents débar­quements. Puis deux agents, Luiggi et Lefèvre, débarquent avec de l’argent et des armes. Pour ses quatrième et cinquième missions, le sous-marin a reçu de nouveaux équipements : deux doris solides, 10 bateaux pneumatiques et, surtout, des appareils de phonie, indispensables pour garder un lien radio entre les marins chargés d’assurer les manoeuvres de débarque­ment. Le 1er juillet 1943, le Casabianca est en vue de la plage de Saleccia. Mais il doit attendre la tombée de la nuit pour débarquer 13 tonnes de matériel, ainsi que Paulin Colonna d’Istria (alias Césari), un des chefs de la Résistance corse de retour d’Alger. Puis le Casa regagne la haute mer.

Dans la nuit du 30 au 31 juillet, Jean L’Her­minier a rendez-vous cette fois dans l’anse de Gradella, dans la baie de Porto, pour y déposer 20 tonnes d’armes et munitions. Mais il doit renoncer après avoir essuyé des tirs venant de la côte et fait route vers Saleccia où une noria de doris et de pneumatiques parvient à trans­porter l’ensemble de la cargaison sur le rivage. À Capu di Fenu, du 5 au 7 septembre 1943, le Casabianca embarque Arthur Giovoni, un des responsables de la Résistance, pour le mener à Alger. Puis il dépose une nouvelle équipe commandée par le lieutenant Gianesini, ainsi que des postes radio et des armes anti-char. Sa septième et dernière mission clandestine se déroule sans difficultés.

BATAILLON DE CHOC

Mais cinq jours plus tard le 12 septembre, alors que la Résistance a déjà commencé son insur­rection contre l’occupant allemand, L’Hermi­nier reçoit l’ordre de faire débarquer sur l’île les 109 hommes de la troisième compagnie du bataillon de choc du commandant Gam­biez. Des commandos rompus aux tactiques de la guérilla qui vont jouer un rôle clé dans les combats à venir de l’opération Vésuve qui vient de commencer. À bord, 170 hommes, du groupe d’assaut et de l’équipage, se partagent un espace minuscule. Le 13 septembre 1943 à 1h15, ils sont à Ajaccio, première ville libérée de France métropolitaine, 24 heures avant l’arrivée des torpilleurs français Le Fantasque et Le Terrible qui, avec les croiseurs Jeanne d’Arc et Montcalm et les torpilleurs Alcyon et Tempête, vont assurer le débarquement des 6 000 hommes et du matériel du corps expédi­tionnaire du général Henry Martin.

Pour le Casabianca la guerre continue et son équipage coule un patrouilleur allemand, le 22 décembre 1943, puis endommage un cargo italien et un autre patrouilleur allemand. En hommage à ses actions d’éclat, le commandant de la 8e flottille des sous-marins britanniques lui décerne le pavillon « Jolly Roger » à tête de mort. La carte stylisée de la Corse se trouve dans sa partie haute ainsi que sept poignards symbolisant ses sept missions réussies dans l’île. Son souvenir a perduré avec celui du SNA Casabianca qui sera retiré du service actif pro­chainement. Avec le désarmement du patrouil­leur de haute mer Commandant L’Herminier, plus aucun navire de la Marine n’aura pour l’instant, le droit d’arborer le « Jolly Roger »

Jean L'Herminier
Jean L'Herminier