Jeanne Barret : le valet intrépide

Publié le 04/03/2025

Auteur : La rédaction

Première femme à réaliser une circumnavigation, Jeanne Barret a mené une vie hors du commun. Des collines du Morvan à l’île Maurice en passant par la pampa sud-américaine et le détroit de Magellan, Jeanne a participé en se déguisant en homme à l’expédition de Bougainville au 18e siècle. Malgré cette infraction à la loi, cette botaniste célèbre sera reconnue « femme extraordinaire » par Louis XVI .

Rien ne prédestinait la petite rousse de la Comelle à une telle aventure. Et pourtant ! En mer, à mille lieues de sa terre natale et de ses troupeaux de brebis, c’est ainsi qu’elle a bouleversé les normes établies et inscrit son nom dans l’Histoire.

Une cueilleuse hors-pair

eanne naît aux alentours de 1740 dans le Morvan. Cadette d’une famille très pauvre, elle apprend le métier de bergère à l’âge de sept ans. Par tous les temps, elle passe ses journées à surveiller son troupeau. Rapidement, elle développe une connaissance aiguisée de sa région, de sa flore et de sa faune. Aussi, elle parfait son savoir des plantes lorsqu’elle accompagne sa sœur pour la cueillette des simples. A 17 ans, elle devient servante dans la maison de sa sœur aînée à Toulon-sur-Arroux, dans le Charolais. Son sérieux est remarqué par le curé qui la recommande à son beau-frère, un naturaliste reconnu du nom de Philibert Commerson. Veuf et père d’un enfant, ce dernier travaille beaucoup malgré une santé fragile. Jeanne l’assiste dans ses travaux et gagne sa confiance grâce à ses talents de cueilleuse. Leur relation dépasse le cadre professionnel et Jeanne tombe enceinte. Commerson ne reconnaîtra pas la paternité mais tout porte à croire qu’il en est le géniteur. Un botaniste bourgeois avec sa pauvre servante… Le bruit court dans la région et ils décident de quitter la ville pour échapper aux commérages. Ainsi, en 1764, Jeanne découvre la capitale et ses immenses bâtiments qui abritent divers cercles de savants que fréquentent son amant.

Jean l’aide-botaniste

A la même époque, d’importants projets politiques sont menés. Après avoir perdu le Canada en 1763 et les Malouines en 1765, Louis XV souhaite redorer l’image du Royaume. Ainsi, Choiseul, son principal ministre et le noble Louis Antoine de Bougainville élaborent un tour du monde aux objectifs politiques, économiques et scientifiques. A ce titre, Philibert Commerson est choisi pour y participer. Ce dernier accepte à la condition d’emmener avec lui son aide-botaniste. Problème, les femmes sont interdites sur les navires du roi. La ruse est alors mise en place. Jeanne se coupe les cheveux, se bande la poitrine et enfile un pantalon. La voilà désormais transformée en « Jean » Barret. C’est ainsi que le 1er février 1767, ils appareillent à bord de la flûte l’Etoile. Direction l’Amérique du Sud pour retrouver Bougainville et sa frégate La Boudeuse, avec laquelle ils poursuivront leur circumnavigation.

Une gravure représentant des tahitiens

Vahiné

A bord, alors que les deux néophytes s’amarinent, des soupçons s’élèvent au sujet de ce fameux valet. François Vivez, le chirurgien du navire en fait part dans ses notes : « Après le premier mois, le doux repos qu’ils goûtaient fût interrompu par un petit murmure qui s’éleva dans l’équipage sur ce que, disaient-ils, il y avait à bord une fille déguisée… ». Jeanne fait taire les rumeurs en prétendant être un eunuque et en redoublant d’efforts sur le pont. Le 1er mai 1767, l’Etoile jette l’ancre sur le Nouveau Monde. Pendant sept mois, entre l’estuaire du Rio de la Plata et la baie de Rio de Janeiro, les deux botanistes mènent d’importantes campagnes d’herborisation. En tout, près de sept-cents nouvelles plantes seront récoltées. Jeanne passe ses journées à couper, cueillir et coller sur papier les différents spécimens. La navigation reprend en fin d’année et les deux navires s’attaquent au terrible détroit de Magellan. Ils finissent par atteindre, dans la douleur, l’océan Pacifique le 26 janvier 1768. En avril, ils rejoignent Tahiti, pour le plus grand malheur de Jeanne. Les Tahitiens ne sont pas dupes et reconnaissent immédiatement en elle une « Vahine ! »Jeanne devient dès lors la cible de railleries. Bien que le secret n’ait pas été officiellement révélé, la majorité des marins semble avoir décelé le subterfuge et Bougainville ne tarde pas à s’emparer de l’affaire. Il reçoit Jeanne dans son bureau. Le regard fier derrière les larmes qui lui montent aux yeux, elle avoue tout. Bougainville ne s’énerve pas, bienveillant, il souhaitait confirmer les dires et non punir la concernée.

Nouveau départ

Après huit mois à la mer et des escales peu concluantes, l’équipage atteint l’île de France (actuelle île Maurice) le 8 novembre 1768. Jeanne et Commerson sont sommés de débarquer car un retour en France serait synonyme de procès. Le gouverneur de l’île et ami de Commerson, Pierre Poivre, les accueillent. Alors que les navires reprennent la mer, le couple entame une nouvelle vie. Jeanne se voit confier la gestion d’une auberge et devient cantinière par la force des choses. Elle gère son établissement avec une certaine autorité tandis que Commerson continue ses travaux malgré une santé délicate. Jusqu’à sa mort, le 13 mars 1773, il récoltera plus de deux-mille plantes entre les îles de Maurice, Madagascar et La Réunion.

 

une gravure représentant un groupe d'explorateurs en contact avec les habitants de Tahiti

Une audace reconnue

Désormais séparée de son compagnon, Jeanne se reconstruit. Elle rencontre Jean Dubernat, un officier français avec lequel elle se marie le 17 mai 1774 à Port-Louis. Ils rentrent en France peu de temps après et perçoivent l’héritage de Commerson. Jeanne se retire alors de la capitale pour les rives de la Dordogne. Elle décide d’écrire au ministère de la Marine pour demander reconnaissance de ses travaux. C’est alors qu’en 1785, un acte officiel la pensionne au titre de « femme exceptionnelle » sur le budget des Invalides. Un acte symbolique du Roi qui récompense une femme ayant enfreint les règles. Le 6 août 1807, à l’âge de 67 ans, Jeanne s’éteint laissant derrière elle un héritage scientifique aujourd’hui largement reconnu. Plus de deux-cents ans après, en 2012, des scientifiques nomment en son hommage une plante découverte au Pérou : Solanum baretiae. D’autre part, en 2018, une chaîne de montagne de la planète Pluton est nommée « monts Baret ». Enfin, plus proche de notre univers marin, en 2019, la Marine nationale décide de mettre en place un réseau d’entraide entre marins dans le cadre de son « plan mixité ». Son nom ? Le réseau Jeanne Barret…