Jean-Christophe Chaumery : Chesapeake, la victoire navale française qui changea le monde

Publié le 01/09/2024

Auteur : La Rédaction

Depuis 20 ans dans la Marine nationale et commandant en second de la frégate La Fayette, le capitaine de frégate Jean-Christophe Chaumery est aussi historien. En 2023, élève à l’École de guerre, il se distingue en poursuivant en parallèle un master en Histoire et stratégie navale à l’École pratique des hautes études. Chesapeake - La victoire navale française qui changea le monde est issu de son mémoire. Une aventure qu’il poursuit désormais avec un doctorat.

Cols bleus : Qu’est-ce que la bataille de la Chesapeake ?

Capitaine de frégate Chaumery : C’est une bataille navale qui a eu lieu le 5 septembre 1781 pendant la guerre de l’Indépendance américaine, au large de la baie de Chesapeake, sur la côte Est des États-Unis. Elle a vu s’affronter les flottes anglaise et française menée par l’amiral de Grasse.

C. B. : Comment la Marine française a-t-elle pu l’emporter alors que la Royal Navy était numériquement supérieure ?

CF C. : La différence doit beaucoup à la force morale et à l’audace des marins français en des moments décisifs. Alors que de Grasse était au mouillage en opération amphibie, l’escadre adverse s’est présentée au large. Tout semblait mal engagé, mais de Grasse a renversé la situation et surpris les Anglais. Il a appareillé en urgence et manoeuvré sa ligne de bataille au gré du vent variable. L’ennemi a moins bien évolué et subi le feu nourri de l’avant-garde française, ce qui a fait replier les Anglais et permis le siège de Yorktown puis l’indépendance américaine.

C. B. : Pourquoi est-elle une bataille de référence dans l’histoire de la Marine ?

CF C. : Chesapeake était relativement méconnue jusqu’à être érigée en fête de la Marine. Trafalgar, Mers el Kébir et le sabordage de 1942 stigmatisent trop souvent notre histoire, au mépris des coups d’éclat de nos anciens qui doivent enthousiasmer en école comme en unité. Cette bataille concentre des facteurs de réussite, et tout concorde en un moment « de Grasse ». L’audace des marins et le coup de génie du chef ont transformé une situation défavorable en victoire stratégique éclatante et inspirante.

C. B. : Deux siècles plus tard, quelles leçons tirer de Chesapeake ?

CF C. : Malgré l’incertitude et la violence, de Grasse et ses hommes ont vaincu grâce à l’entraînement, l’ingéniosité et le dépassement collectif. Ils ont finement exploité cette opportunité au sein d’une manoeuvre d’ensemble exercée des Antilles à l’océan Indien. Pour peser à l’échelle mondiale, une marine doit penser et agir sur le temps long, avec clairvoyance et constance dans ses choix structurants. De plus, le combat naval doit être exploité à terre pour obtenir des effets durables grâce à des liaisons diplomatiques, interarmées et interalliées. Enfin, Chesapeake met en avant le rôle capital de la force morale et de la cohésion au sein d’équipages bien entraînés pour se dépasser face à l’adversité

C. B. : L’amiral Vandier a dit : « Être militaire, c’est indiscutablement avoir un rendez-vous avec l’Histoire », en quoi cette phrase s’applique -t-elle à la bataille de Chesapeake ?

CF C. : De grands hommes ont eu un rendez-vous avec l’Histoire, comme de Grasse à la Chesapeake ou Suffren en océan Indien. Plus modestement, chaque militaire est l’héritier de l’Histoire, faite de petites et de grandes choses accomplies par les anciens. D’où l’importance du devoir de mémoire et du retour d’expérience des succès glorieux comme des échecs instructifs. Au cours de ses années de service, chacun peut apporter sa pierre à ce trésor collectif et le transmettre en s’interrogeant à son tour.

Propos recueillis par Nathalie Six

Chesapeake - La victoire navale française qui changea le monde, de Jean-Christophe Chaumery

Éditions Pierre de Taillac, 24,90€.