Grand Sud : le Teriieroo a Teriierooiterai, nouveau cap-hornier de la Marine

Publié le 01/06/2024

Auteur : La Rédaction

On n’avait pas vu cela depuis 14 ans  ! Le Teriieroo a Teriierooiterai s’est distingué fin avril en étant le premier navire de la Marine nationale à doubler le cap Horn depuis 2010. Parti de Brest le 16 mars pour rejoindre Papeete, son futur port base, le patrouilleur Outre-mer (POM) Teriieroo a Teriierooiterai, deuxième de sa classe, a navigué au cours de son déploiement au large de l’Amérique Latine. Plus qu’un simple transit, ce déploiement vise à évaluer les capacités du bâtiment dans des conditions variées, et constitue un moment clé de son armement, venant parachever le travail mené depuis presque deux ans par son premier équipage.

Après des escales au cap Vert, Rio de Janeiro et Buenos Aires, puis une traversée transatlantique, le Teriieroo a Teriierooiterai a franchi la latitude 56 pour passer au sud du cap Horn. Pour atteindre la partie chilienne de l’archipel de la Terre de Feu, le patrouilleur a commencé le 17 avril une descente mouvementée le long de la Patagonie. Celle-ci a permis d’évaluer la capacité du bâtiment à naviguer par mer très formée et en eaux froides, comme a pu le constater le contre-amiral Rouvière, président de la Commission permanente des programmes et essais (CPPE), embarqué pour cette phase particulièrement marquante. 4°C à l’extérieur et une mer à 8°C : pour traverser les quarantièmes rugissants, puis les cinquantièmes hurlants, le POM a dû affronter de face une « mer 6 » et « mer 7 » pendant plusieurs jours. Récompense ultime : le roc mythique a finalement été franchi sous un soleil radieux et un léger vent d’ouest, sur une route de navigation permettant d’apercevoir au mieux les falaises abruptes qui culminent à 425 mètres.

L’héritier d’une lignée de cap- horniers célèbres

Le passage du Horn s’inscrit dans une longue tradition. De Francis Drake aux grands clippers du xixe siècle, l’épopée des cap-horniers ayant doublé le « cap des tempêtes » durant les cinq siècles derniers est devenue digne d’un roman d’aventure. Avec plus de 800 naufrages et 11 000 disparus dans ces eaux, les marins qui s’y sont essayés ont payé un lourd tribut. Au-delà du sentiment de fierté ressentis par les marins du bord – autorisés désormais à arborer une boucle d’oreille d’or à l’oreille gauche -, ce passage est l’occasion de rendre honneur à la mémoire de ces grands anciens.

Après ce point d’orgue, direction Ushuaia, la prochaine escale, via le Canal de Beagle. Une halte de deux jours, durant laquelle le bâtiment français a reçu un accueil particulièrement chaleureux de l’Armada argentine. Cinq navires sont venus le rejoindre en amont afin de l’accompagner jusqu’à l’accostage, où une fanfare militaire et les autorités locales étaient présentes. Un match de football amical avec l’équipe de l’Armada témoigne des bons rapports entretenus entre les deux marines. Cette escale a aussi permis à l’équipage de découvrir cette ville réputée « la plus au sud du monde », juchée sur un bout de terre rocailleux coincé entre le canal de Beagle et les derniers contreforts des Andes, à l’ombre du Cerro Martial. Cette montagne tire son nom du capitaine de vaisseau Martial, qui commanda une expédition d’hydrographie dans la région à la fin du xixe siècle, illustrant la présence ancienne de la Marine française dans cette zone.

Une navigation exceptionnelle à travers les chenaux de Patagonie

Dans la matinée du 26 avril, le Teriieroo a Teriierooiterai a appareillé d’Ushuaia pour naviguer pendant trois jours à travers les chenaux de Patagonie, parcourant plus de 730 nautiques dans cet environnement. Suivant le canal de Beagle, toujours vers l’Ouest, le Teriieroo a Teriierooiterai a ainsi rejoint le Détroit de Magellan, avant de le quitter à l’embouchure du Pacifique pour s’engager plus au nord dans d’autres chenaux. Conseillé par deux officiers de l’Armada chilienne embarqués à bord, l’équipage a navigué durant 60 heures dans des conditions de navigation particulièrement exigeantes : la plupart du temps en NAVRES*, souvent sans cartes électroniques, et des conditions météorologiques versatiles en raison de la topographie de la région. Dans cet enchevêtrement de côtes abruptes, d’îlots, de baies et de canaux, il n’est ainsi pas rare de voir au hasard d’une échancrure du relief le vent traversier fraîchir subitement de 10 à 40 nœuds générant une réaction brutale du navire. Ce sont donc des équipes sous haute vigilance qui se sont relayées durant 3 jours aux postes de quart du navire. Mais si tous ont été fortement sollicités, l’intensité de cette navigation pour l’équipage a été largement récompensée par des paysages exceptionnels, glaciers démesurément hauts se jetant dans les canaux, pics de glace et de roc d’où coulent cascades et torrents, et par la découverte d’une riche faune marine, le navire se voyant salué par d’innombrables phoques, baleines, orques, loutres et oiseaux marins.

Sorti des chenaux de Patagonie le 28 avril au soir, le Teriieroo a Teriierooiterai a mis le cap au Nord, remontant la côte chilienne vers Valparaiso, sa prochaine escale, qui a été marquée elle aussi par le chaleureux accueil réservé cette fois-ci par les autorités chiliennes. Ce sont en effet des liens anciens et réguliers qui relient France et Chili à Valparaiso : d’abord au travers de l’amitié et de l’estime entretenue entre les deux marines, qui ne manquent pas de conduire des activités communes lorsque l’occasion se présente. Le patrouilleur français n’y a pas fait exception, conduisant à son départ un PASSEX avec le patrouilleur chilien Policarpo Toro : un échange de marins entre les deux unités a permis d’apprécier respectivement les savoir-faire des deux marines au cours d’exercices de navigation et de manœuvre. Une amitié qui se perpétue aussi grâce au lien entretenu avec les bomberos de la Pompe 5 « France » – autrement dit la 5e caserne de pompiers de Valparaiso, fondée il y a plus d’un siècle et demi par un Français (les ordres et les procédures au feu sont encore donnés en français).

Un navire polyvalent pour les forces armées en Polynésie française

Après sa traversée du Pacifique, le Teriieroo a Teriierooiterai rejoint son ultime étape fin mai : les forces armées en Polynésie française. Bénéficiant du retour d’expérience des navires patrouillant dans les eaux polynésiennes depuis des décennies, le POM constitue un saut capacitaire par rapport à ses prédécesseurs. Il atteint d’abord des performances significativement améliorées par rapport aux patrouilleurs précédents : dépassant la vitesse de 24 nœuds, son autonomie se porte à 5 500 nautiques à 12 nœuds ; ses moyens de veille, radars et drone, étendent son horizon de surveillance. C’est aussi un navire polyvalent, en mesure de conduire un grand nombre de missions : hydrographie, lutte contre les narcotrafics, ravitaillement et transport de matériel, soutien aux populations, évacuation de ressortissants, patrouille et lutte contre la pêche illégale. Une renfort très attendu et apprécié à Papeete.