Des ingénieurs au service de la flotte de demain : la DGA concepteur de l'architecture du système de défense
Publié le 03/10/2024
Aucune idée de ce qu’est une architecture système ? Pas de panique, Cols bleus vous explique tout sur ce service incontournable de la Direction générale de l’armement (DGA).

Au sein de la DGA, et fort de 65 agents dont une quinzaine à l’étranger au sein de l’OTAN et de la commission européenne, le « service d’architecture du système de défense » (SASD) dépend de la direction de la préparation de l’avenir et de la programmation. Direction qui contribue en particulier à l’élaboration de la loi de programmation militaire (LPM) et à son exécution. Le métier de ces architectes un peu particuliers, qu’ils soient ingénieurs militaires (Polytechnique, Ensta Paris, Ensta Bretagne et Supaéro) ou civils, est de construire avec les états-majors les futures capacités et programmes. « Ce sont des chefs d’orchestre ! », simplifie Gwladys, ingénieur en chef de l’armement en charge du domaine « Combat connecté naval ». Des chefs d’orchestre qui œuvrent de concert avec l’état-major des armées (EMA). « Pour chaque dossier, l’architecte travaille en binôme avec un officier de cohérence opérationnelle de l’EMA, auquel s’ajoute du côté Marine, un officier de cohérence d’état-major(issu du pôle Plans – Programmes dirigé par l’amiral Desfougères, NDLR), détaille l’IGA Olivier Beaurenaut. Pour compléter ce trinôme, nous sommes aussi en lien avec les équipes de l’unité de management Combat naval dirigée par l’IGA Thivillier (lire l’interview ci-après) de la direction des opérations, du MCO et du numérique (DOMN), qui conduisent les programmes d’armement du domaine naval, une fois qu’ils sont lancés. »
A la tête du SASD, ce polytechnicien trois étoiles voit naître ou passer sous ses yeux tous les grands programmes d’armement à court, moyen et long terme. « Nous travaillons à faire émerger des solutions (ce que nous nommons « les architectures ») amenées à interagir entre elles. Prenez un missile : il faut aussi penser au porteur, à la chaîne de commandement, aux réseaux par lesquels transitent les ordres et les données de désignations d’objectifs, etc. Penser “architecture ” c’est identifier quels sont les agencements les plus pertinents pour obtenir l’effet militaire. » Ensuite, l’évaluation des options se fait selon des critères tels que la performance, le délai, le coût ou la prise de risque. L’équilibre entre ces paramètres change en fonction des sujets, avec une priorité croissante sur le délai, dans le contexte géopolitique actuel.

Les travaux capacitaires reposent sur un besoin opérationnel exprimé par les forces. « Nous sommes aussi là pour identifier les travaux et études préparatoires en amont des programmes afin d’apporter la réponse au besoin opérationnel », note l’IGA Olivier Beaurenaut. Sur le dossier CHOF (capacité hydrographique et océanographique future), un des enjeux de la LPM présentant une forte dimension de dronisation pour le domaine naval, le SASD a instruit avec l’EMA les choix structurants à prendre sur ce programme jusqu’à l’automne dernier. Le binôme architecte DGA/officier de cohérence opérationnelle EMA, avec le soutien des experts du domaine, a d’abord réfléchi à un panel large de solutions, avant d’affiner son choix. Le lancement de la réalisation du programme pour l’acquisition de deux bâtiments hydrographiques de nouvelle génération est prévu en 2025. De nombreuses expérimentations avec des AUV et USV se sont d’ores et déjà déroulées depuis 2020 pour aider à identifier les futures solutions.

Deuxième mission du SASD : s’assurer de la bonne intégration de la solution qui aura été mise en œuvre dans le système de défense. « Savoir intégrer l’innovation caractérisée par des cycles courts dans un programme de cycle long est une nécessité absolue », rappelle l’ICA Theuillon. « Eviter à tout prix que les équipements soient obsolètes dès le neuvage, anticiper les mesures conservatoires permettant de prendre en compte l’évolutivité qui sera nécessaire sur toute la durée de vie d’un bâtiment comme un porte-avions ».
De manière générale dans leurs travaux, l’export est un paramètre indispensable à prendre en compte car nécessaire pour maintenir l’activité d’un chantier naval, en complément d’un marché national qui serait souvent insuffisant. La capacité à développer et à produire la base industrielle contribue « pour la France à être souveraine quand c’est nécessaire ». à ce titre, la DGA joue un rôle majeur pour construire les coopérations internationales dans le domaine de l’armement, partager les coûts de développement voire bénéficier de solutions techniques et industrielles que la France ne possèderait pas. Des enjeux que le SASD a la mission et les moyens de porter dans les débats capacitaires.
Dans le sillage de l’ingénieur général de l’armement Emmanuelle Thivillier
Directrice de l’unité de management combat naval (DUM CNAV) au sein de la direction des opérations du maintien en condition opérationnelle et du numérique (DOMN)

Cols bleus : Quelles sont les missions et l’expertise apportée par l’UM Combat naval ?
IGA Emmanuelle Thivillier : Au sein de la direction des opérations, du maintien en condition opérationnelle et du numérique de la DGA, l’unité de management Combat naval (UM Combat naval) est en charge de piloter l’ensemble des opérations d’armement relatives au renouvellement ou à la modernisation des capacités de la Marine nationale, hors dissuasion. L’UM intervient dans les opérations d’armement dès leur phase de préparation durant laquelle elle travaille en synergie avec le SASD, mais aussi la Marine, apportant sa vision en termes techniques, contractuels et industriels. Mais notre cœur de métier reste la conduite des opérations une fois lancées.
L’enjeu de l’UM est alors de coordonner l’expertise technique pour traduire les effets opérationnels recherchés par la Marine en exigences techniques, de définir la stratégie d’acquisition et d’architecturer les réponses en projets industriels puis de négocier et superviser la réalisation des contrats jusqu’à la qualification puis la réception des navires ou équipements navals. L’UM travaille en partenariat étroit avec la Marine au sein de ce que nous appelons des équipes intégrées pilotées par un binôme : le directeur de programme, un manager de l’UM, et l’officier de programme, un marin de la sous-chefferie Plans – Programmes de l’EMM. Un dialogue nourri et constant existe entre l’UM et la Marine pendant toute la durée de vie de l’opération. L’UM Combat naval, c’est ainsi près de 65 personnes en organique dont plus d’une quarantaine de managers, ingénieurs civils ou militaires, et plus de 200 personnes en opérationnel, experts et spécialistes techniques, acheteurs, spécialistes management et qualité, spécialistes finances. Ensemble, ils constituent des compétences clés, orchestrées par les managers de l’UM mais aussi de l’AID pour piloter les opérations d’armement et les grands projets de R&D du domaine naval.
C. B. : Quels sont les programmes du futur sur lesquels la DGA travaille ?
IGA E. T. : En accord avec les orientations et les priorités définies par la loi de programmation militaire (LPM), l’UM Combat naval est actuellement chargée de piloter une cinquantaine d’opérations d’armement dont certaines menées en coopération avec notamment, l’Italie et le Royaume-Uni. En 2024, c’est de la classe trois milliards d’euros qui seront ainsi investis au profit de la Marine nationale. Ces opérations portent sur un spectre très large de navires : des plus imposants avec les deux porte-avions (l’actuel porte-avions Charles de Gaulle et le futur porte-avion de nouvelle génération, le PA- NG) et les sous-marins nucléaire d’attaque Barracuda, jusqu’aux plus petits avec des vedettes diverses ou encore des propulseurs sous-marins, en passant par l’ensemble de la composante frégates (FDI, rénovation des FDA, évolution des FREMM), ou encore les bâtiments de second rang comme les bâtiments ravitailleurs de forces dont la cérémonie de mise à flot du deuxième, le Jacques Stosskopf, a eu lieu le 19 août.
Les opérations menées par l’UM portent également sur divers équipements navals tels que la guerre électronique, l’artillerie navale, les torpilles, etc., sans oublier, les drones navals, de surface et sous-marins, avec des technologies innovantes et de rupture notamment dans les domaines de la guerre des mines, des capacités hydrographiques et océanographiques ou encore de la maîtrise des fonds marins. Cette dronisation navale en dessous et au-dessus du dioptre fait partie avec le numérique et le quantique des grands enjeux de la LPM. Elle nous impose d’avoir une approche suffisamment parallélisée pour faire mûrir les technologies, consolider notre tissu industriel, définir et affiner des concepts d’emploi nouveaux, tout en visant des quick win – via des démonstrateurs ou prototypes pouvant être rapidement évalués à la mer – pour tester, évaluer et faire progresser les solutions dronisées et embarquer au plus tôt les innovations. Une feuille de route a ainsi été initiée avec l’EMA, la Marine, le SASD et l’AID afin de nous permettre de garder l’avance acquise et d’être en mesure de capter tous les apports de la dronisation.