CV El-Ahdab : « Le C2N incarne l’inter-organique »
Publié le 01/06/2024
À la tête du centre de combat naval (C2N) depuis l’été 2023, le capitaine de vaisseau Florian El-Ahdab a la particularité d’avoir aussi bien servi un an au commando Hubert, sur des bâtiments de surface que dans des sous-marins nucléaires d’attaque. Il est en outre, à ses heures perdues, pilote d’avion et d’hélicoptère. Sa double formation de sous-marinier et de surfacier lui offre un point de vue à 360° et un regard protéiforme sur de nombreux sujets. Une expérience qu’il a su mettre à profit dans son nouveau poste, chef du C2N.

Cols bleus : Quelle est l’utilité du centre de combat naval qui n’existe formellement que depuis août 2023 ?
Capitaine de vaisseau Florian El-Ahdab : Nous sommes les héritiers de la cellule Polaris, qui existait déjà depuis 2021 au sein de FRMARFOR (aujourd’hui rebaptisée FRSTRIKEFOR pour French Strike Force). Pour mémoire, Polaris, introduit dans le plan « Mercator-Recalage », est l’un des trois piliers du plan stratégique du chef d’état-major de la Marine : celui qui concerne le développement des capacités opérationnelles de la Marine. En 2021, le premier exercice Polaris a consisté en un affrontement équilibré des forces bleues contre les forces rouges. Ce premier exercice ayant été jugé pertinent, le concept a été reconduit. L’idée sous-jacente de Polaris est de débrider les conditions de l’exercice afin de se rapprocher au maximum de la réalité, en permettant notamment aux forces de conduire la manœuvre planifiée par leur soin de bout en bout. Les conditions de ces exercices ravivent la réflexion tactique. Le C2N vient cristalliser cette idée-là dans une structure permanente et stable.
Notre rôle est d’animer la réflexion doctrinale : comment optimiser notre potentiel de combat avec les moyens capacitaires et humains dont la Marine dispose aujourd’hui ? Cette interrogation est la préoccupation permanente du C2N. L’état-major de la Marine attend de nous que nous fassions preuve d’un esprit d’innovation tactique.
C B : Comment s’articule le centre de combat naval ?
CV F E-A : Le C2N est composé de deux cellules : la première s’appelle fleetprog. Sa fonction : coordonner et synchroniser des activités de préparation opérationnelle. C’est un rôle relativement difficile qui consiste à analyser les programmes d’activité des quatre forces de la Marine. Le but est d’essayer de les optimiser pour créer des opportunités d’entraînement en commun supplémentaires, afin de faire progresser notre niveau opérationnel global. Cette première cellule est composée de deux personnes.
C B : Et la deuxième cellule ?
CV F E-A : C’est la cellule Polaris dont nous avons conservé le nom. Elle est désormais composée de quatre officiers : un surfacier, un sous-marinier, un commando et un pilote de l’aéronautique navale, chacun d’entre eux étant choisi pour la richesse de son parcours. Cette cellule est probablement une des seules de la Marine aujourd’hui où les représentants des quatre forces se partagent concrètement le même bureau, avec le même emploi du temps et la même mission. Nous incarnons l’inter-organique, grâce à notre regard croisé sur les sujets à traiter. Cette cellule s’occupe davantage d’innovation et d’optimisation tactiques. Elle a vocation à dynamiser la réflexion doctrinale en décloisonnant au maximum les quatre forces et ensuite à identifier les idées qui auraient la plus forte plus-value pour faire progresser nos forces en matière tactique.
C B : Est-ce que le C2N ressemblerait à un think tank dans le civil ?
CV F E-A : Le C2N pourrait être comparé à un think tank. Je préfère utiliser l’image du catalyseur. Nous ne sommes qu’une poignée et devons animer la communauté en identifiant des convergences ponctuelles. Il faut faire progresser l’ensemble de la communauté plus vite.
C B : Quelles sont vos missions ?
CV F E-A : Le C2N agit dans trois grands domaines : la préparation opérationnelle en organisant les exercices POLARIS, la valorisation du retour d’expérience, et l’innovation tactique.
C B : Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?
CV F E-A : Nous avons piloté une étude sur des cas d’usage consacrée à la coordination entre les drones et les hélicoptères habités dans le cadre des opérations amphibies. Nous avons imaginé des scénarios qui ont fait naître plusieurs questions. Possède-t-on toutes les capacités techniques ? Si on ne les a pas, faudrait-il les développer ? Quelles sont les conséquences sur le personnel à déployer, etc. ? Puis nous avons animé un petit groupe dématérialisé (à distance) composé du PHA Mistral, de son détachement drone, de son détachement amphibie et des hélicoptères de l’aéronautique navale et des experts de la lutte au-dessus de la surface, afin de donner du concret à cette réflexion. C’est modeste mais cela pose les bases des étapes à accomplir ensuite, ce qui permet d’avancer ensuite sur des domaines précis. Autre exemple : l’exercice Typhon conduit en décembre 2023, qui a servi à éprouver l’organisation de l’emprise militaire de Toulon face à des agressions, allant jusqu’à des menaces élevées type missiles de croisière et nageurs de combat. Le C2N a apporté son concours à l’équipe qui a défié le commandant en chef pour la Méditerranée (CECMED). Nous puisons nos idées dans l’actualité, tout ce qui pouvait stresser l’organisation adverse. Et le C2N a également organisé le séminaire de guerre navale 2023 à Brest.
C B : Six mois après, quelles leçons tirez- vous ?
CV F E-A : Grâce au retour d’expérience et aux analyses de l’exercice Polaris, a peu à peu émergé une problématique liée à la méthodologie du commandement de force navale. Le confort qu’apportent les outils informatiques classiques (typiquement les outils de bureautique) pose un vrai souci de résilience. Comment commander dès lors que nous commençons à avoir des débits contraints, quand les bâtiments perdent leurs liaisons IP et sont contraints d’utiliser uniquement les liaisons radio élémentaires ? Il est capital de revoir notre méthodologie du commandement tactique à la mer. Comment l’état-major, embarqué ou pas, peut-il donner ses ordres à ses unités subordonnées ? Il faut le faire indépendamment des moyens de transmission modernes, sinon nous prenons le risque d’avoir du mal à commander, le jour où on se retrouve dans une situation de déni satellitaire. Cela repose sur un ensemble de facteurs qui restent encore à identifier.
C B : Comment être plus résilient dans le commandement ?
CV F E-A : Les marins doivent intégrer la culture du commandement en situation dégradée. À cette fin, pourquoi ne pas emprunter des méthodologies qui sont connues dans d’autres milieux, mais que l’on n’applique guère dans la Marine parce qu’on est dans un contexte globalement confortable ? Au contraire, il faut pouvoir revenir à des méthodes plus rustiques. Les fusiliers marins et les commandos sont entraînés dans un environnement qui ressemble à celui de l’infanterie qui est coutumière de ce genre de problématique. Les pions tactiques sont manœuvrés juste par une liaison phonie, sur le terrain ils n’ont ni powerpoint ni liaisons IP. Leur méthodologie standard, normale est très rustique. Autre point à améliorer : notre sémantique. Sortis du contexte naval, certains mots que nous utilisons, par exemple pour exprimer des effets tactiques, ont une autre signification en interarmées.
De façon générale, nous devons nous préparer à des affrontements plus durs, qui vont arriver rapidement. Savoir comment optimiser notre capacité opérationnelle avec ce dont nous disposons est essentiel.

Bio express
2001 : entre à l’École polytechnique et effectue un stage au sein du commando Hubert
2004 : entre dans la Marine nationale, spécialité Lutte sous la mer/sous-marinier (LSM/SOUM)
2007 à 2008 : déploiements sur les sous- marins nucléaires d’attaque Saphir, Perle et Casabianca
2009 : spécialité Lutte au-dessus de la surface (LAS) à Saint-Mandrier
2009 : chef de service LAS à bord de la frégate anti sous-marine Jean de Vienne
2014 : commandant adjoint équipage de la frégate de défense antiaérienne Chevalier Paul
2015 : commandant du chasseur de mines tripartite Eridan
2017-18 : diplômé de l’École de guerre
2020 : commandant de la frégate de type La Fayette Courbet
2022 : directeur du groupe de transformation et de renfort de Toulon (GTR/T)
2023 : directeur du centre de combat naval (C2N)