Changements climatiques dans le Grand Nord : la glaciologue Daphné Buiron
Publié le 06/01/2025
Docteure en climatologie et glaciologie, Daphné Buiron est partie hiverner un an sur la base Dumont d’Urville, en Terre Adélie. Quatre ans plus tard, elle découvre l’Arctique et se passionne pour cette région, la culture Inuit et la vie dans le Grand Nord. Guide d’expédition depuis neuf ans sur des navires de croisière dans les pôles, elle n’a de cesse de transmettre sa passion pour ces territoires en péril à travers ses livres, ses photographies et ses conférences.

Cols bleus : Quelles sont les causes du changement climatique en Arctique ?
Daphné Buiron : L’intensification de l’effet de serre, en réponse aux activités anthropiques, est la cause principale du réchauffement mondial. La combustion des énergies fossiles produit un excès en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. L’agriculture intensive renforce la production de méthane et de composés azotés. Tous ces gaz s’accumulent dans l’atmosphère, amplifient l’effet de serre et dérèglent le climat. Certaines rétroactions climatiques renforcent ces phénomènes. Par exemple, dans les pôles et autres zones glaciaires, l’effet d’albédo, réflexion de l’énergie solaire par les glaces, diminue, accentuant ainsi le réchauffement de ces régions. Le principal puits de CO2 est l’océan, suivi de la respiration des végétaux. Environ 30 % des émissions anthropiques de CO2 sont dissoutes dans l’océan. Plus les eaux sont froides, plus elles ont cette capacité d’absorption.
Ainsi, la déforestation ou la diminution de phytoplancton renforcent le changement climatique. En Arctique, la température moyenne sur 30 ans a augmenté d’environ 4°C, soit trois fois plus qu’en France.
C. B. : Quelles sont les conséquences pour la faune et la flore ?
D. B. : Avec moins de jours de neige dans l’année, la flore polaire tend à accéder à plus d’ensoleillement, propice à la croissance. L’Arctique verdit, la toundra grandit, s’étoffe. De nouvelles espèces s’implantent qui pourraient déstabiliser l’écologie de ces espaces.
La flore arctique est spécifiquement adaptée aux conditions climatiques extrêmes. Si la température, la luminosité, l’accès aux ressources nutritives changent, certaines espèces s’adapteront, d’autres non. Il en est de même pour les animaux. Les espèces polaires sont suradaptées à des conditions très particulières de vie. La modification d’un petit paramètre entraine des conséquences sérieuses sur l’équilibre des écosystèmes. Par exemple, les bancs de poissons apprécient des masses d’eau de température froide spécifique. Si ces eaux se réchauffent, les poissons pourraient se déplacer plus au Nord. Or, ils sont la base alimentaire d’animaux prédateurs, ou d’humains, qui devront conjuguer avec ces nouveaux itinéraires. La chaîne alimentaire peut ainsi être bouleversée. Les ours polaires se nourrissent des phoques, nombreux sur la banquise printanière. Les phoques mettent bas à cette période sur la glace côtière. Le maintien de la glace de mer printanière est ainsi très important, c’est un facteur clef de la santé des écosystèmes marins de l’Arctique. Avec le réchauffement, la banquise se forme plus tard et fond plus tôt dans certaines régions. C’est un facteur sensible dont l’évolution est à surveiller de près. En outre, la banquise côtière protège également les berges des fortes tempêtes. Sans elle, l’érosion s’intensifie.

C. B. : Quelles sont les conséquences sur les populations locales ?
D. B. : Elles sont nombreuses ! Par exemple, une banquise qui s’affine et se fragilise représente un danger pour les personnes qui l’arpentent ou y chassent. D’un autre côté, la saison de pêche en eau libre est de ce fait plus étendue et ainsi facilitée. Sur les terres arctiques, la couche supérieure du sol est gelée sur plusieurs mètres d’épaisseur depuis la dernière période glaciaire, c’est ce qu’on appelle le pergélisol. Actuellement, de vastes zones dégèlent, provoquant des glissements de terrain et des inondations, et libérant du méthane gazeux dans l’atmosphère. Ceci renforce le réchauffement et menace les villages construits sur ce sol. Des infrastructures s’effondrent, des routes sont détruites. Plusieurs villages ont déjà été déplacés. L’accès à la nourriture se modifie, tout un équilibre de connaissance ancestrale est à réinventer. C’est un défi écologique et social.
C. B. : Quel avenir pour le climat en Arctique ?
D. B. : Les climatologues travaillent constamment à affiner les simulations des futurs possibles scénarios d’évolution des températures. Ils dépendent de nombreux paramètres parfois difficiles à prévoir. Ces dernières années, la fonte des glaces a été plus rapide que les scénarios préétablis par les scientifiques. Le futur de l’Arctique n’est pas encore écrit.
C. B. : Avez-vous le sentiment que la population est éveillée sur le sujet ?
D. B. : Oui et non. Aujourd’hui on peut difficilement dire que la population ignore l’existence du changement climatique, mais peu de personnes sont conscientes de la gravité que cette situation représente et des enjeux qui en découlent. L’Arctique est certes une zone éloignée, mais la hausse du niveau des mers en réponse à la fonte des glaces polaires nous concerne tous. Les conséquences de ce qui se passe en Arctique et en Antarctique sont mondiales. Nous avons besoin de politiques qui prennent des décisions adaptées et motivent à l’action.
C. B. : Quel est votre rôle en tant que climatologue ?
D. B. : Le travail des climatologues aujourd’hui est essentiellement de la prévision et de la communication: comprendre au mieux le système climatique et alerter. J’écris, je fais de la sensibilisation dans les écoles, j’organise des conférences dans les entreprises, j’essaie d’apporter ma pierre pour que les décisions prises aujourd’hui soient justes et adaptées pour imaginer demain un avenir positif à la vie sur notre belle planète.
C. B. : Quelles solutions existent ? Le phénomène peut-il être inversé ou ralenti ?
D. B. : Rien n’est perdu c’est certain, tout est à sauver !
Si nous limitons rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, en quelques années, la tendance s’inversera. La stabilisation ne se fera pas immédiatement car le temps de vie de certains gaz à effet de serre dans l’atmosphère est de plusieurs années, d’où l’importance d’agir rapidement. En parallèle, nous devons trouver des solutions innovantes pour remplacer les énergies fossiles, continuer les recherches, revoir nos pratiques de consommation, d’alimentation, réfléchir à nos philosophies de vie. C’est un défi de taille, passionnant et réel, que d’organiser des solutions efficaces, éthiques et équitables.