80 ans des débarquements - Entretien avec Loïc Guermeur
Publié le 29/04/2024
Ancien navigateur de la Marine nationale, Loïc Guermeur est passionné d’histoire navale. Dans son ouvrage Les Grandes Histoires Navales de la Seconde Guerre mondiale, il partage avec un ton vif et dynamique des récits maritimes parfois tombés dans l’oubli. Interrogé par Cols bleus, il a accepté de répondre à nos questions.

Cols bleus : En 2024, nous célébrons le 80e anniversaire des débarquements de Normandie et de Provence, s’agit-il de la plus grande opération navale de l’Histoire ?
Loïc Guermeur : Au sens strictement navale c’est contestable, car le débarquement aux Philippines en octobre 1944 regroupe une telle puissance navale américaine qu’elle peut légitimement disputer le titre. Mais c’est vrai qu’Overlord est la plus grande opération amphibie et navale de l’Histoire. Il y a plusieurs aspects assez incroyables à l’opération Neptune, si les Américains et les Britanniques ont fourni le principal contingent de navires, huit Marines différentes ont mis à disposition une partie de leur flotte. Tous les Alliés ont participé à cette opération y compris des pays sous-occupation totale depuis 1940. Entre les vrais navires de guerre, les péniches, ou les petits bateaux de transports et les cargos se sont des milliers de navires qui ont participé à cette opération.
CB : Pourriez-vous raconter l’opération Mulberry et la création ingénieuse de ports artificiels ?
LG : Pour débarquer autant de troupes et pouvoir les ravitailler en chars, artilleries, pétroles et vivres, il fallait des ports en eaux profondes, or Le Havre et Cherbourg n’avaient pas de plages qui se prêtaient au débarquement. Les Alliés décidèrent de construire en Grande-Bretagne, deux ports artificiels qui seraient remorqués à travers la Manche jusqu’aux plages d’Arromanches et Omaha Beach. Ce dernier n’a jamais été opérationnel. Celui d’Arromanches, conçu pour durer un été, a finalement permis de débarquer 2 500 000 hommes, 500 000 véhicules et 4 000 000 tonnes de matériel et continua d’être utilisé pendant huit mois.
CB : Les facteurs météorologiques et maritimes ont-ils influencé les Alliés dans la préparation de l’opération Overlord ?
LG : Le choix de la date du débarquement en Normandie ne doit rien au hasard, elle fut décidée en tenant compte de la lune, la marée et la météo. Il fallait pouvoir débarquer 150 000 personnes à marée basse pour éviter que les chalands de débarquement se prennent dans les obstacles installés par les Allemands sur les plages. Initialement prévue le 5 juin, l’opération fut reportée au 6, à cause d’une mer agitée et d’épais nuages, alors que tous les navires étaient déjà partis depuis l’Irlande et le Nord de l’Angleterre. Pendant douze heures, ils ont fait demi-tour avant de retourner vers la Normandie.
CB : Pour quelle(s) raison(s), le débarquement de Provence est moins connu que celui de Normandie ?
LG : Le débarquement en Normandie était le grand débarquement par l’Ouest, annoncé par Churchill depuis 1940. Tout le monde l’attendait, les Allemands et les Alliés s’y préparaient. En Méditerranée il y avait déjà eu plusieurs débarquements, en Afrique du Nord, en Sicile et en Italie. Le débarquement de Provence était avant tout une volonté française. Churchill était opposé à cette opération car il considérait qu’il fallait continuer en Italie ou dans les Balkans. De Gaulle a réussi à l’imposer pour des raisons de politiques intérieures et de restauration de la souveraineté française. Essentiellement français et américain, le débarquement de Provence est moins international, il y a eu moins d’affrontements aussi. Le débarquement en Normandie résonne encore dans l’Histoire grâce à des noms comme Arromanches, Omaha Beach.
CB : L’importance du débarquement de Provence dans la Libération est-elle exclusivement symbolique ?
LG : Non, il a permis l’encerclement d’une partie des forces allemandes en France et a provoqué aussi le rapatriement d’un certain nombre de soldats vers l’Allemagne. Le Débarquement de Provence n’est pas que symbolique même si c’est son principal atout.
CB : Quels rôles ont joué les Français dans le débarquement de Provence ?
LG : De Gaulle voulait libérer une partie du sol français avec des forces françaises et les deux-tiers des armées qui ont débarqué en Provence étaient françaises, dont 90 % originaires d’Afrique du Nord, des coloniaux ou des pieds noirs. Il y avait aussi beaucoup de navires français qui étaient partie prenante au Débarquement. En revanche, au niveau des phases de planification, les Français n’ont pas été sollicités, cette partie était réservée aux Américains et aux Britanniques.
CB : Quelle figure des débarquements vous marque en particulier ?
LG : L’Amiral Ramsay est un amiral britannique qui a eu ses lettres de noblesse avec le film Dunkerque. En mai-juin 1940, il est commandant de la zone de Douvres et permet l’évacuation des soldats britanniques et d’une partie des forces françaises à Dunkerque. De retour en Angleterre, il prend part à l’organisation du débarquement en Afrique du Nord puis en Sicile. Ramsay joue un rôle capital dans la planification du Débarquement de Normandie. C’est une opération extraordinaire à planifier, on parle de milliers d’hommes à mettre en relation. Décédé en juin 1945, il est l’un des acteurs majeurs du conflit.
CB : Dans l’esprit de votre livre Les Grandes Histoires Navales de la Seconde Guerre mondiale, avez-vous des récits méconnus à nous raconter sur les Débarquement ?
LG :La Combattante, un torpilleur de classe Hunt donné par les Britanniques et commandé par le capitaine de corvette (CC) Patou a pour mission de bombarder à courte portée les batteries allemandes pour soutenir les soldats du débarquement.7h, alors que toute la côte normande est massivement bombardée, la Combattante a déjà neutralisé de nombreux objectifs, le CC Patou ordonne de mouiller l'ancre à 3000m du rivage, par 4m de fonds entre Courseulles-sur-Mer et Saint-Aubin. Mais il y a quelques plateaux sableux. Et surtout, la marée charrie sable et vase. Alors dans sa fougue, André Patou s’échoue sur un banc de sable. Rien de grave, La Combattante bat en arrière et se dégage. Mais la scène n'est pas passée inaperçue et le HMS Venus, chef de groupe britannique de la flottille, dans un humour très britannique envoie ce message en scott au futur chef d’état-major de la Marine : “Je suis heureux que ce soit un Français qui ait le premier toucher le sol de France !”.
CB : Une anecdote sur les messages diffusés depuis Radio Londres à l’occasion du Débarquement en Normandie ?
LG : Quelques semaines avant le début de l’opération, en mai 1944, le quotidien The Daily Telegraph publie dans les grilles de ses mots croisés, les mots « Overlord », « Neptune », « Omaha », « Sword », soit les noms de code des opérations et plages du Débarquement. Craignant l’espionnage, les services de sécurité britanniques se saisissent de l’affaire, mais l’enquête menée ne révèlera rien, aucune volonté malveillante, seulement le fruit du hasard.
A lire
Les grandes histoires de la Seconde Guerre mondiale, de Loïc Guermeur, Plon, 336 p. 22,90€.
