Division navale d’Extrême-Orient : le croiseur Tourville en Indochine

Publié le 04/07/2025

Auteur : CC Esteban

Entre janvier 1946 et novembre 1947, le croiseur Tourville effectue deux missions de plusieurs mois en Indochine où il participe aux opérations contre les forces du Vietminh. Ses huit canons de 203 mm assurent l’appui feu lors d’opérations interarmées et le bâtiment contribue à la mission de surveillance maritime le long des côtes.

Le Tourville est un croiseur lourd de 10 000 tonnes de la classe Duquesne admis au service actif en 1929. Il passe la majeure partie de la deuxième guerre mondiale immobilisé à Alexandrie en Egypte avant de rejoindre l’Asie et les Forces maritimes d’Extrême-Orient (FMEO). Le vice-amiral commandant les FMEO y dispose de trois grands adjoints : le contre-amiral commandant la division navale d’Extrême-Orient (DNEO), le contre-amiral commandant la Marine en Indochine et le commandant de l’aéronautique navale. Le Tourville est ainsi intégré à la DNEO, parfois surnommée la « Marine en blanc » en opposition avec « la Marine kaki » du commandant de la Marine en Indochine en charge des opérations fluviales grâce à la force amphibie marine Indochine (FAMIC). In fine, environ 8 000 marins servent au quotidien sur ce théâtre. Le croiseur y retrouve ses sister-ships Suffren et Duquesne et porte à plusieurs reprises la marque du contre-amiral de la division navale d’Extrême-Orient.

Entre les deux déploiements effectués par le croiseur, le contexte évolue notablement. Si en 1946 des tensions existent avec les groupes communistes menés par Ho Chi Minh, l’opposition militaire du Vietminh n’apparaît qu’en fin d’année. Le Vietminh déclenche le 19 décembre 1946 de multiples attaques coordonnées dans la région de Hanoï dans le Tonkin ce qui marque le début du conflit.

Début 1946, l’objectif français est avant tout de reprendre pied au Tonkin, dans le nord du pays. Les troupes chinoises ont été chargées du désarmement des forces armées japonaises qui ont capitulé en août 1945 et il est indispensable de relever les soldats de Tchang Kaï-Tchek. Dans le cadre de l’opération Ben-Tré, le général Leclerc organise le débarquement à Haiphong de 20 000 hommes transportés depuis Saigon en deux convois, escortés par cinq bâtiments dont le Tourville. Les marsouins de la 9e division d’infanterie coloniale et les fusiliers-marins de la brigade marine d’Extrême-Orient débarquent le 8 mars sous le feu des Chinois qui ne semblent malheureusement pas avoir été prévenus de l’opération. Durant toute sa présence en Indochine, le Tourville sera régulièrement utilisé pour assurer l’escorte des troupes entre les différentes zones mais aussi pour les transporter directement.

Quand les 203 mm donnent le ton

Après le coup de force Vietminh en décembre 1946 et le début des combats, le Tourville débute une nouvelle phase de son engagement. Il participe ainsi aux opérations de dégagement de la ville de Tourane du 20 décembre 1946 au 17 janvier 1947 et assure une partie de l’appui-feu en soutien aux troupes débarquées. Sur cette période, 57 coups de canons de 203 mm sont délivrés et 436 de 75. À l’issue et jusqu’au 4 février, Le Tourville appuie la progression des forces terrestres vers Hué le long de la route coloniale no1, débarquant même sa section de plage sur la plage de An Cu puis sur celle de la baie de Chon May. Le 27 mars, l’opération Gaston le mène dans le Nord Annam, dans la région de Dong Hoi en compagnie de plus d’une dizaine de navires dont le porte-avions Dixmude, le croiseur Duquesne et les avisos coloniaux Dumont d’Urville et Savorgnan de Brazza. Deux débarquements amphibies simultanées distants de 30 km sont conduits afin de reprendre possession de la bande côtière, ce qui sera réalisé le 6 avril après la jonction des deux colonnes. À travers ces différentes actions, le corps expéditionnaires français en Extrême-Orient (CFEO) démontre sa maîtrise des opérations amphibies en autonomie et développe son savoir-faire interarmées.

Épilogue

La dernière mission du Tourville qui sera également l’ultime de la Marine en Indochine est la surveillance maritime (SURMAR) des 2500 km de côtes indochinoises. Principalement à l’aide de jonques traditionnelles en bois, le Vietminh relie les zones rebelles entre elles et les approvisionne en armes, en vivres mais aussi en troupes. Les FMEO organisent ainsi trois secteurs de SURMAR (le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine-Cambodge), secteurs sous les ordres d’une autorité à terre. En janvier 1947, l’amiral d’Argenlieu, haut-commissaire, fait d’ailleurs de la surveillance maritime une des priorités de la Marine.

Le Tourville appareille de Saigon le 15 novembre et fait route vers la métropole, atteignant Toulon le 11 décembre puis Brest où il sera désarmé à son arrivée. La guerre en Indochine elle se poursuivra jusqu’en juillet 1954, date à laquelle les accords de Genève seront signés.